اسب عرب(فرانسه) Les chevaux des Arabes

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
این مطلب درباره اسب عرب و تکامل ان است بزبان فرانسه که بتدریج میگذارم چون طولانیست و رفرنس خوبی و همچنین بعد از خواندن یک اختلاف بزرگ با اون چیزی که باور داریم که اسب از ایران به جاهای دیگر رفته و دراین مقاله اینطور نیست, ولی در کل اطلاعات خوبی ارایه میدهد
Prologue
Partant à la recherche des origines du cheval arabe, c'est à une véritable expédition intellectuelle que j'invite le lecteur. Il est donc nécessaire et loyal de le prévenir des conditions dans lesquelles je poursuivrai cette entreprise.

Tout d'abord qu'il sache bien qu'il doit abandonner tout espoir d'une démonstration cartésienne, et qu'il accepte le mode de raisonnement propre aux Ulama arabes (les savants, les érudits). Il consiste à citer tout ce que l'on sait sur le sujet, en donnant les références des auteurs qui en ont traité, à donner ensuite son opinion personnelle, et à laisser enfin au lecteur la responsabilité de sa propre conclusion... « car en vérité, Dieu seul sait ! ». Cette démarche de l'esprit dans la recherche historique m'a paru sinon très scientifique, du moins plus objective, et en tout cas plus honnête que celle que l'on pratique habituellement en Occident sur le sujet, à savoir, une généralisation définitive à partir d'une analyse sommaire des sources arabes. Il s'ensuit, qu'avec une telle méthode, le lecteur occidental devra faire un effort important pour s'identifier à la pensée des Arabes. C'est à ce prix qu'il aura quelque chance, à la fin de ce livre, d'avoir une idée précise du plus parfait des chevaux.

On m'a fait remarquer que certains lecteurs n'auront pas le temps, ou n'auront pas le goût, de pratiquer cet exercice intellectuel. Pour ceux-là, j'ai accepté d'intercaler dans mon développement des plans et des cartes qui schématiseront les étapes de notre recherche.

Ces prémisses étant clairement comprises, le sujet que je me propose de traiter peut s'énoncer ainsi. A partir d'une prise de conscience par nos aïeux de la spécificité du cheval oriental - qui se situe vers les XVIe et XVIIe siècles - et dont nous avons hérité des idées entachées d'erreurs, il s'agit de comprendre le point de vue des Arabes eux-mêmes sur leur cheval et, pour ce faire, de pénétrer leur mode de pensée. Sans plus attendre, j'invite le lecteur à plonger au coeur de la tradition arabo-musulmane qui s'exprime globalement dans ce célèbre hadith (1) du Prophète de l'Islam, rapporté - après beaucoup d'autres - par l'un des auteurs hippiques les plus sérieux : Ali Ben Aberrahman ben Hodeil el Andalusi (2), qui vivait à la cour de l'émir de Grenade au XIVe siècle :

« Ali-que Dieu agrée ! - attribue au Prophète béni de Dieu, les paroles suivantes : « Lorsque Dieu a voulu créer les chevaux, il a dit au vent du Sud : je vais créer de toi une créature en qui je placerai la puissance de mes amis, l'avilissement de mes ennemis, le rempart des gens qui m'obéissent.
- Crée ! » dit le vent. Dieu prit alors de ce vent une poignée et créa un cheval auquel il dit :
« Je te nomme et te crée Arab,
Je lie le bien aux crins de ton toupet ;
Le butin sera pris grâce à ton dos.
La puissance est avec toi où que tu sois.
Je te préfère à toutes bêtes de somme, dont je te fais le Seigneur.
Je te rends sympathique à ton maître.
Je te fais capable de voler sans ailes ;
Tu es destiné à la poursuite et à la fuite.
J'imposerai à ton dos des hommes qui me glorifieront,
Et proclameront ma grandeur et mon unité.
Et lorsqu'ils me glorifieront tu me glorifieras aussi ;
Et lorsqu'ils proclameront ma grandeur, tu la proclameras aussi;
Et lorsqu'ils attesteront mon unité, tu l'attesteras aussi ».

Ce texte, d'une extraordinaire densité, contient toute la pensée arabe sur le cheval, pensée que nous allons essayer de comprendre. Mais, avant d'aller plus loin, il convient de savoir comment nos aïeux ont rencontré ce cheval venu d'Orient et comment leurs successeurs l'ont adopté et intégré à notre civilisation.​
 

پیوست ها

  • bogro018.jpg
    bogro018.jpg
    205.2 کیلوبایت · بازدیدها: 2

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
Comment les Européens ont connu le Cheval Oriental

Richard Coeur de Lion avait ramené en Angleterre,
au retour de la troisième croisade, deux superbes chevaux orientaux,
qui faisaient partie du butin pris à Chypre. HENRY LEE

Bien que la déesse Epona, déesse des Cavaliers, soit d'origine celte et plus particulièrement gauloise, on peut affirmer que les peuples de l'Europe occidentale, paysans sédentaires ou bourgeois des cités médiévales, ne se sont guère épris de l'equus caballus jusqu'à la fin du Moyen Age. Nous ne saurions nous en étonner puisque, précisément, l'usage du cheval s'est répandu en notre monde avec les invasions des nomades. Les Européens apprirent à se servir du cheval par l'influence directe des peuples cavaliers venus des steppes. Peuples qui, à l'apogée de leur puissance du VIIIe au XIIIe siècle, ont envahi à maintes reprises les pays de l'ouest. Dès lors les Européens s'engagèrent dans la voie de la connaissance équestre et, après avoir utilisé les animaux de leur terroir, lourds et lymphatiques, ils apprécièrent au plus haut point les variétés venues d'Orient. Ces contacts entre Européens et Orientaux se firent soit par le sud : Espagne, Italie où les conquérants cavaliers avaient importé leur élevage ; soit par les plaines de l'est européen où les combats devaient se poursuivre jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. On ne saurait non plus, oublier l'influence des croisades sur l'aristocratie terrienne, et singulièrement celle d'Angleterre.

Tout d'abord ce fut dans les pays du sud, anciennement occupés par les Arabes, que les continentaux recherchèrent une remonte de meilleure qualité. Ce fut l'époque de la grande renommée des chevaux d'Espagne : Les Genets, dont la parenté avec le Barbe, sinon l'Arabe, est certaine. Tous les écuyers de cette époque les ont vantés - dont le célèbre Newcastle. Les chevaux du sud de la péninsule italienne eurent aussi leurs partisans. Ils contribuèrent largement au succès de l'Ecole d'équitation italienne au XVIe siècle et à son rayonnement en Europe. En 1580, les Habsbourg fondaient dans le massif du Karst le haras de Lipizza, avec des juments du cru, des Andalouses et des étalons italiens. Mais les combats se poursuivaient à l'est de l'Europe contre les Ottomans qui avaient pris la relève des Arabes et des Tatares. Et les écuyers militaires ne cessaient d'attirer l'attention des grands - empereurs, rois et princes - sur la nécessité de remonter leurs cavaleries en chevaux venus d'Orient. Le fait est général. Nous citerons le plus sympathique de ces écuyers. C'est le Sieur Jean Tacquet, seigneur de Lechêne, de Helst et autres lieux de Belgique, qui publia en MDCXIV chez Robert Bruneau à Anvers un traité des haras dédié à l'archiduc roi des Belges. Le titre en dit long sur la violence de ses convictions Philippica ou Haras des chevaux. L'exorde, rédigée en alexandrins par son frère en témoigne plus encore :

Princes vous perdez temps à conquerre la terre,
Que jà les ottomans vous ont osté par guerre,
Si pour y parvenir vous n'allez practiquant
L'advis de cest autheur, par ce moyen peuplant
Voz terres de chevaux de course Orientale ;
Qui ayant quant et quant une vigueur esgale.
Unicque et seul moyen pour monstrer la vertu
De vos braves Soldats, que nature a rendu
Bonshommes de cheval ; qui alors pourront joindre,
Combattre main à main, de la lance bien poindre
Ces Asiens, qui sont les mieux montez de tous,
Et qui la guerre font, trop plus vistes que nous.

Le Sieur Tacquet avait une idée claire des questions d'élevage du cheval. Il écrit au chapitre II : « ... Bien est vray, qu'es pays chauds, secs ou fertiles du Levant et Midi, toutes choses qui y naissent d'ordinaire sont plus fortes, substantieuses et mieux parvenues, que non point en ces pays humides du Nord et West [...] Par conséquent sont les chevaux d'iceux pays chauds, plus nobles, plus beaux et plus courageux qu'en nostre pays froid : l'on le voit à l'œil, si l'on veut parangonner chevaux de Turquie, d'Arabie, de Barbarie et d'Espagne aux nostres. »

C'est au chapitre X qu'il expose ce qu'il sait des chevaux d'Orient : « … Je tiens qu'entre tant de chevaux turcs, les principaux sont trois sortes qui sont à estimer : les premiers sont les Persiens qui viennent au mesme Royaume : et bien que ce pays soit au Sophi, et non au Turc, nous les tenons pour Turcs, puisqu'ils y passent pays pour venir chez nous ; ou qu'ils viennent des mains des Turcs, avant que parvenir aux nostres : ce sont les chevaux principaux de l'Orient, la plus part venant de Médie, auquel pays est Campus Niséus. Hérodotus dit que de la viennent grans et forts chevaux larges de crouppe, larges de poitrine, car les Persiens portent armes pesantes, les chevaux couverts et bardez, rarement qu'ils font chastrer leur chevaux, afin qu'ils soyent meilleurs à la guerre ; il en vient fort peu à nous ; qui a un tel cheval, le doit priser car ils sont vistes, allaigres, forts et continuels au travail, et ont toutes les bonnes qualitez que l'on sçauroit désirer en cheval de guerre, fors que sur l'estable ils sont un peu malaisez à penser, lesquels sont désirez et pourchassez des Turcs, comme les chevaux d'Espagne et de Naples le sont de nous autres. Les seconds chevaux de Turquie, sont ceux d'Arabie et d'Arménie, qui sont pareillement bons, et viennent aussi rarement à nous ; Les Seigneurs Turcs les estiment comme les chevaux Persiens, pour estre venus d'iceluy haras (3), car l'Arménie, et l'une et l'autre Arabie, ne sont distantes de Persie, que par le goulfre Persique : Ces chevaux ne parviennent aux mains du commun soldat Turc ; car ils sont chiers, et les Seigneurs en font estat comme sus dit est, mais ne sont pas si forts que ceux de Persie, ains plus gentils, et de meilleure bouche, ils ont la carrière meilleure, et sont plus fermes du pied, qu'autres chevaux Turcs : sont encore moins choleres que ceux de Persie, de la reste fort traictables et bonasses. Les troisièmes sont les chevaux Morisques ou de Barbarie passant d'Affricque en Italie : de là ils viennent encore à nous, et convient sçavoir qu'il y a grand différence entre ceux cy et ceux d'Arabie ; ce que j'infere pour cause qu'aucun ne les distinguent, estant Arabie beaucoup de cent lieues long de Barbarie, du tout vers l'Orient en Asie, et Barbarie vers midy en Affricque, d'où ces chevaux Mores ou Barbes nous viennent : Ils sont petits, mais forts, au travail continuel, et supportans beaucoup... »

Cet exposé magistral d'un homme de cheval de la fin du XVIe siècle, début du XVIIe, nous prouve qu'en ce temps-là, les connaisseurs savaient faire la différence entre les chevaux venus du Proche-Orient ou de l'Afrique du Nord. Cependant notons que, s'il les place tous ensemble au-dessus des chevaux d'Europe, il les nomme « indifféremment chevaux Turcs ». Ayant en effet à sensibiliser l'opinion sur la nécessité d'importer des chevaux d'Orient, il devait juger inutile de s'embarrasser de nuances. Et c'est ainsi que les Européens du XVIIIe siècle et du siècle suivant ne feront guère de distinction entre les chevaux venus d'outre-mer, de l'est ou du sud. Tous seront englobés dans la dénomination d'Orientaux et cela jusqu'au XIXe siècle. On sait sans doute que les termes : « arabe » ou de « race arabe », ne furent introduits que lentement et tardivement dans notre stud-book. Cette conception fut générale en Europe.

Cependant, le cas des Anglais est assez original pour que l'on s'y attarde. Phénomène historique lourd de conséquences, l'aristocratie anglaise ramena des croisades le goût des courses et du cheval à sang chaud. Dès le début du XIIe siècle, Henri Ier fit venir des chevaux d'Italie, et aurait possédé deux étalons orientaux. La première course dont parlent les chroniqueurs (Sir Bevis, Metrical Romance) eut lieu sous le règne de Richard Coeur de Lion à la fin de ce même siècle. « La distance était de trois miles, le prix de 40 livres d'or. Ce prince avait ramené en Angleterre, au retour de la IIIe croisade, deux superbes chevaux orientaux, qui faisaient partie du butin pris à Chypre. En même temps, Roger de Belesme, comte de Shrewsbury, introduisait plusieurs étalons d'Espagne. » (D'après Henry Lee, Historique des courses de chevaux, Paris, 1914.) L'auteur que nous venons de citer nous donne des détails très intéressants sur la part prise par l'importation de chevaux orientaux dans l'élevage du cheval en Angleterre au cours de nombreux siècles. Nous le citerons largement ci-dessous. Edouard II (1307-1327) importa 30 chevaux lombards. Edouard III (1327-1377) fit venir 50 étalons d'Espagne. Henri VIII (1509-1547) qui prit des mesures draconiennes pour améliorer l'élevage du cheval en son royaume, importa des juments barbes « que lui avait offertes le prince de Mantoue », et à un prix fort élevé « de nombreux étalons de Turquie, de Naples et d'Espagne ». Il publia aussi le premier « bill » sur les courses. « Elisabeth (1558-1603) poursuivit l'oeuvre d'amélioration des races indigènes... elle réunit, à Greenwich, une quarantaine d'étalons orientaux. »

C'est Jacques Ier (1603-1625) qui doit être considéré comme le véritable fondateur des courses réglementées (en Europe) et le précurseur qui avait pressenti les qualités d'améliorateur du cheval arabe. Il fit venir plusieurs étalons orientaux. Celui sur lequel il fondait ses espoirs fut hélas battu dans toutes ses courses et ne réussit pas mieux au haras. Il s'appelait The King's Arabian. Les préjugés aidant, cet échec fit arrêter l'expérience, mais on sait que l'idée sera reprise et avec quel succès !... « Il envoya au Maroc, en Arabie et en Turquie, ses écuyers Christophe Wirville et Georges Fenwick, pour lui acheter des étalons et surtout des juments triées sur le volet, connues depuis sous le nom de Royal mares, qui donnèrent le jour aux meilleurs chevaux de l'époque, et dont le sang se retrouve dans le pedigree de tous les chevaux les plus célèbres du turf anglais. » (H. Lee.) Sous le règne de Jacques II (1685-1689), les étalons Listerturk, Barb Chillaby, l'Arcy's White Turk et Yellow Turk, Curwen's Bay Barb et Toulouse Barb, Saint Victor's Barb, Hutton's Bay Turk, Matthew's Persian, Croft's Egyptian furent importés. On notera leurs noms indiquant leurs origines !

Guillaume III (1689-1702) créa le stud-book, ou registre des généalogies. The General Stud-Book containing pedigrees Race Horses. Mais c'est en 1705, que fut importé un cheval arabe « dont la venue allait fixer pour toujours l'orientation définitive à donner à l'élevage » du cheval de course. « Ce cheval portait le nom arabe de Mannicka (4), mais on l'appelle The Darley Arabian du nom de son propriétaire ». Il avait été acheté à Alep, par le frère de Mr. John Brewster Darley et provenait du désert de Palmyre. Ce fait historique doit être souligné. Il montre clairement que le cheval arabe de la meilleure lignée provenait de l'élevage du désert de Syrie. En outre, et c'est très important, il autorise à penser que si, au début du XVIIIe siècle, la terminologie actuelle - et dont nous parlerons plus loin - de Kohelan, Muniki, Saklawi, etc., existait déjà en Syrie, elle était totalement ignorée des Européens et particulièrement des Anglais ! Sous le règne de George II (1727-1761) parut le premier Racing Calendar, que l'on doit à John Cheney (1728) et qui fut repris en 1773 par James Weatherby.

Ce long développement au premier chapitre d'un ouvrage consacré au cheval arabe peut sembler déplacé. Il n'en est rien car, nous espérons le montrer au cours de cette étude, la façon dont les Européens, et singulièrement les Anglais, ont découvert puis conçu le cheval arabe a eu en définitive une influence très grande sur celui-ci, tant sur le plan de la terminologie que du modèle... nous nous trouvons en effet devant un phénomène historique assez curieux où l'observateur va influer sur l'objet observé et sans aucun doute le modifier !

Pour lors nous pouvons conclure que les Européens ont d'abord confondu toutes les variétés de chevaux du Maghreb, du Machrek (5) et même de Perse... Cela fut constant jusqu'au XIXe siècle pour les Continentaux qui, nous l'avons compris, envisageaient la question sous l'angle du cheval de guerre. Or, nous savons que de ce point de vue les cavaliers militaires ont toujours préféré à l'Arabe, ses dérivés. C'est un fait d'histoire militaire. Quant aux Anglais, orientés de bonne heure vers les courses et bien que partant de la même confusion, ils arrivèrent assez vite à reconnaître les meilleures qualités du cheval oriental de la variété arabe, tel Darley Arabian (1705). Encore que l'opinion ne fût pas unanime dès cette époque, puisque dans les années 30 du XVIIIe siècle, les Anglais acceptaient comme « Chef de race » Godolphin Barb qui venait du Maghreb et avait transité par la France. Ce pragmatisme est à l'honneur de nos amis d'outre-Manche. Ils ont retrouvé ainsi la conception des classiques arabes qui n'ont jamais donné à l'origine géographique une quelconque valeur.
1_01_03_08_12_44_51.JPG

C'est à partir de la fin du XVIIIe siècle, avec le voyage de Niebuhr, explorateur allemand, en Arabie, avec la campagne d'Egypte du corps expéditionnaire français sous les ordres de Bonaparte, avec les voyages en Syrie et en Arabie de Burkhardt, explorateur suisse, que les Européens feront une distinction définitive entre le cheval d'Arabie et les autres chevaux orientaux. Mais il faut noter tout de suite que ces explorateurs ont visité les régions tant de la péninsule arabique, que de la grande Syrie jusqu'à l'Euphrate, que de la Mésopotamie jusqu'à Diar Bekr (Diyarbakir, actuellement en Turquie), et que c'est l'ensemble de ces régions qui pour eux constitue l'Arabie. D'ailleurs cette conception de l'Arabie correspond très exactement à l'histoire, sinon à la géographie, et, en l'occurrence, c'est le plan historique qui est le plus important. En effet, selon le Prophète Mahomet et les premiers califes, la Nation arabe s'étend sur toute l'aire d'expansion des tribus issues de Kahtan et d'Ismaël. C'est-à-dire sur tout le Proche-Orient, du sud de la péninsule arabique jusqu'au Tigre supérieur et inférieur. Sur le plan politique, les Européens ont fait bien des erreurs, n'ayant pas su comprendre ce concept fondamental de la pensée arabe... Sur le plan du cheval arabe, ils ont commis des erreurs semblables.

Il faut noter en outre que c'est principalement dans les déserts de Syrie ou sur leur bordure nord-est qu'ils ont recueilli l'essentiel de leurs renseignements sur les chevaux arabes, renseignements très nouveaux pour l'époque. Enfin, il faut noter encore que les explorateurs rapportèrent du Machrek un nouveau terme générique pour désigner cette variété arabe du cheval oriental. Terme inconnu jusqu'alors tant des Européens que des maîtres arabes de l'époque classique : Le Kohelan. Il faut savoir en effet, que les hippiatres arabes des VIIIe, IXe, Xe siècles et suivants ont parlé des chevaux des Arabes (exemple: Al Kitab Asma Khil al Arab : « Le Livre du nom des chevaux des Arabes », de Muhamad Ibn al-Arabi), qu'ils ont divisés en chevaux purs : Arab, en chevaux purs sauvés : Atiq, et chevaux mélangés : Hejin (tel le plus célèbre d'entre eux, Ibn Kelbi), mais que jamais ils n'ont parlé de Kohelan. Nous traiterons largement de cette question dans d'autres chapitres.

En revanche, les Européens, à partir du début du XIXe siècle, partant à la recherche du Kohelan dans les émirats arabes du Machrek, en découvriront une infinité de familles.

On reste perplexe devant un tel « Gotha » tout incomplet qu'il soit et il vient immédiatement à l'esprit que la classification de l'Equus Caballus Arabicus en une profusion de familles, ne nous fera pas avancer d'un pouce dans sa connaissance profonde. Si l'on ajoute à cela le fait que, dès le XVIII siècle, les Occidentaux transcrirent ces noms, issus de mots arabes plus ou moins bien entendus, non pas en lettres arabes, mais en lettres latines, selon des règles différentes de phonétique dans chaque pays d'Europe ; que souvent ils ne leur donnèrent pas le même sens ; on comprend la confusion à laquelle on est arrivé rapidement ! Nous en donnons quelques exemples en fin de ce chapitre. On peut donc affirmer qu'il est impossible de parvenir à une connaissance sérieuse du Cheval des Arabes à partir de ce vocabulaire « arabo-germano-franglais ». C'est pourquoi, partant à la recherche de ce cheval mystérieux : le Kahlan... l'Arab (7), nous questionnerons les Arabes eux-mêmes et l'histoire de leur Nation.

Tableau de Comparaison des transcriptions et des sens des trois mots: Atq - Akdich - Kahlan.
1_01_03_08_12_51_08.JPG
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
La filiation des chevaux selon la tradition classique et les légendes populaires chez les Arabes
D'où il ressort que les chevaux arabes descendent de Zad el-Rakeb*,
cheval de David, issu en droite ligne des nobles coursiers
dont le Seigneur avait gratifié son serviteur Ismaël.
WACYF BOUTROS GHALI
« La Tradition chevaleresque des Arabes », 1919.

*En transcription en caractères latins les traducteurs
ont employé les deux orthographes :
Zad el-Rakeb et Zal er-Rakib qui désignent donc le même cheval.

Les Arabes n'ont pas attendu les Européens pour rechercher les origines de leur cheval. Avant la fin du deuxième siècle de l'Islam, du temps de sa grandeur (IXe siècle de notre ère), des ouvrages fondamentaux ont été publiés sur cette question. Ce sont les oeuvres de : Hicham ibn Saib ibn Kelbi (mort en 206 de l'hégire [8]), dont le père faisait autorité pour tout ce qui concerne les chevaux ; il était contemporain d'Abu Obeïda et d'Al-Asmaï. Il a écrit: Al Kitab Nasab al Khil, c'est-à-dire: « Le Livre de la lignée des chevaux, aux temps pré- et post-islamiques », et de Mohamed ibn Al Arabi, de la génération suivante, qui a écrit Al-Kitab Asma Khil al-Arab, c'est-à-dire: « Le Livre de la dénomination des chevaux des Arabes ».

Les deux manuscrits de ces oeuvres qui existent à la bibliothèque de l'Escorial (Espagne) ont été publiés en 1928 à Leyde par M. G. Levi della Vida. Il existe aussi une autre publication du premier de ces manuscrits datant de 1946 avec les commentaires d'Ahmed Zaki Pacha. Ces deux auteurs sont la source de tous les écrivains arabes et étrangers qui, par la suite, ont étudié les origines du cheval arabe. Leur méthode de recherche est fondée sur l'étude des pièces poétiques qui leur sont parvenues et sur la confrontation des notices historiques qu'ils ont pu recueillir, soit de la bouche même de témoins ayant vécu les premières conquêtes de l'Islam, soit dans la tradition orale populaire ayant retenu celles qui faisaient l'unanimité du consensus de la Nation arabe.

Il faut rapprocher ces ouvrages de ceux d'Abu Obeïda et d'Al Asmaï de la génération précédente. Ces auteurs-là ne se sont pas attardés sur les généalogies. C'étaient avant tout des zootechniciens, avant la lettre, qui ont recherché les caractères différentiels et spécifiques du cheval de course : le Jawad, c'est-àdire : celui qui est rapide et généreux. Il est intéressant de remarquer que les ouvrages de ces zootechniciens et ceux de ces généalogistes se complètent. Ils se succèdent immédiatement dans le temps et font partie de la même époque historique : celle qui fut l'apogée de la civilisation arabo-musulmane avec les califes abbassides de Baghdad, et singulièrement Harun al Rachid, contemporain de Charlemagne. Nous citerons longuement Abu Obeïda au chapitre VIII, « Le cheval noble décrit par les Maîtres arabes ». Notons ici, pour mémoire, que son contemporain Al-Asmaï, dont nous n'avons pu hélas nous procurer le livre du cheval, s'appelait Abu Said Abd'Al Malek Asmaï (740 [?]-828 [?]). Il fut chargé de l'éducation du fils du calife Harun al-Rachid, surnommé l'Amir. C'était un linguiste éminent d'une grande culture. Il rédigea :

Kitab Khalqi l'Insan (Livre de la création de l'homme) ;
Kitab al-Khil (Livre du cheval) ;
Kitab al-Ibil (Livre du dromadaire) ;
Kitab al-Ad'dad (Livre des contraires) ;
Al-Asmat (Recueil de poésie).

Ce qui nous fait bien comprendre que les maîtres arabes qui ont traité du cheval étaient d'abord des linguistes humanistes. Ce fait est très important à noter pour pénétrer dans leur système de pensées !

Mais revenons aux ouvrages d'Ibn Kelbi et d'Al-Arabi. Leur éditeur écrit à leur propos : « Il n'est pas improbable qu'une puissante impulsion à la composition des recueils dont il a été fait mention ci-dessus ait été donnée par l'intérêt aux courses et à l'élevage des chevaux qui fut très vif chez les Arabes, surtout à partir de la fin du premiers siècle de l'hégire. C'est sans doute à cet intérêt que sont dus les récits placés à la fin de l'ouvrage d'Ibn Kelbi, qui se rapportent presque tous au célèbre étalon Al-Harun et à sa descendance dans laquelle, à l'époque omeyyade, les Arabes ont reconnu le pedigree de leurs chevaux de sang. » Nous sommes là en présence d'un fait historique de la plus haute importance pour le sujet que nous traitons. Il prouve en effet que le cheval arabe est le produit de sélections successives.

Celle à laquelle procédèrent les Arabes de la « Grande Syrie » sous les dynasties omeyyade et abbasside qui s'inscrit dans la ligne même de l'enseignement du Prophète de l'Islam, est sans aucun doute la plus importante. Elle succédait à une première sélection faite aux temps antéislamiques par les Bédouins « poètes batailleurs ». Par la suite, lorsque le centre de gravité de la civilisation musulmane se déplaça à l'extérieur de l'Arabie-Syrie (en Espagne, Egypte, Maghreb), les Bédouins des grandes tribus Anézé et autres, s'isolant du monde dans leurs déserts entre Yémen et Mésopotamie, conserveront ce cheval sélectionné, en le purifiant même et en exaltant ses qualités par un élevage fondé sur la consanguinité, vers laquelle ils étaient inclinés par leur goût de la pureté généalogique et leur genre de vie. C'est là, dans ces tribus, que les Européens le découvriront tardivement, et une deuxième fois, au XIXe siècle.

La généalogie du cheval des Arabes selon la tradition

Hicham Ibn Kelbi écrit, en se référant à Mohamed Ibn Saïb, qui se réfère à Abu Salah, celui-ci se référant à Ibn Abbas, contemporain du Prophète (ce processus de références successives est caractéristique de la méthode de recherche des maîtres arabes) : « Le premier homme qui ait monté le cheval et l'ait domestiqué fut Ismaël fils d'Abraham, il fut aussi le premier à parler l'arabe classique (la langue du Coran). Lorsqu'il atteignit l'âge de la puberté, Dieu lui fit don de l'arc avec lequel il atteignait tout ce qu'il visait. Lorsqu'il devint adolescent, Dieu fit sortir pour lui cent chevaux de la mer (9), qui séjournèrent dans les environs de La Mecque, y restant un certain temps, devant la porte d'Ismaël. Il les mit « dans un enclos » (10). Il en fit la reproduction et les monta. » Mohamed Ibn Arabi écrit d'après Ibn Abbas : « Les chevaux étaient sauvages et on ne les montait pas ; le premier qui les monta fut Ismaël... C'est pour cela qu'on les appela Arab » (11). Bakhchi Mohamed al-Jeluati, écrivain du XVIIe siècle, rapportera la même version.

Tous ces auteurs font transiter la filiation du cheval Arab par les chevaux des écuries des prophètes David et Salomon. Ibn Hodeil al-Andalusi rapporte dans le premier chapitre de son ouvrage : « Ibn Abbas - Dieu l'agrée - rapporte que David, prophète et lieutenant de Dieu sur la terre, aimait passionnément les chevaux, si bien que jamais il n'entendit vanter un cheval pour sa race, sa beauté ou sa rapidité sans le faire amener. Il rassembla de la sorte mille chevaux et il n'y en avait pas d'autres, alors, sur la terre. Puis, Dieu ayant repris David, Salomon hérita de lui et siégea à sa place. Il dit alors : « David ne m'a rien transmis qui me soit plus cher que ces chevaux. » Il les fit entraîner, traiter et soigner, et les demanda un jour : « Qu'on me les présente, dit-il, afin que je connaisse leurs marques, leurs noms, leurs origines. » On commença à les lui présenter après qu'il eut fait sa prière du dohr, et la prière de l'açr (12) se passa ainsi, les chevaux défilant devant lui. Et ce n'était que coursiers rapides et généreux qui lui firent oublier les prières jusqu'à ce que le soleil eût disparu, caché derrière le voile ! Alors Salomon s'aperçut de son oubli, se souvint des prières et, implorant le pardon de Dieu, il dit: « Il n'y a rien de bon dans un bien qui vous fait oublier Dieu et la prière. Qu'on les ramène. » Neuf cents avaient été présentés, il n'en restait que cent. Les neuf cents furent donc ramenés et Salomon se mit à leur trancher le jarret et le cou, tant il était affligé que le temps de l'açr eût passé. Et comme il restait encore cent chevaux à présenter : « Ceux-là, dit-il, me sont plus chers que les neuf cents qui m'ont détourné de la prière », et il les conserva... « Si bien qu'aujourd'hui tous les chevaux sont de la descendance de ces cent survivants », écrit Ibn Hodeil. Le livre sacré de l'Islam, le Coran, fait état des faits relatés ci-dessus dans la sourate Sad, aux versets XXXI, XXXII, XXXIII, etc. Tous les auteurs qui ont eu à traiter de la question ont été très embarrassés par cette sourate, et les exégèses ne manquent pas sur ce problème.

Le professeur Hafid Abdelfetah Tabbarah en a donné une version plus satisfaisante pour les amoureux du cheval de race, dans son ouvrage intitulé Avec les Prophètes d'après le Coran, édité à Beyrouth vers 1960. La voici traduite librement: « Un jour, Salomon demanda qu'on lui présente les chevaux (Al-Khir, c'est-à-dire Le Bien, et par extension Les Chevaux). Fier d'eux il dit en s'adressant à son entourage : « J'ai aimé et j'aime ces chevaux parce qu'ils témoignent à mes yeux de l'immanence de Dieu et parce que je peux [avec eux] faire rayonner la religion de Dieu ; ça n'est pas parce qu'ils constituent en eux-mêmes un bien matériel [Al-Khir] ni une richesse. » Après cela, il fit commencer la présentation. La file était tellement longue qu'on ne voyait pas la fin ; mais Salomon ne fut pas rassasié [par ce spectacle] et il demanda à ce qu'on les lui présente une deuxième fois. Il se mit à les flatter en les caressant au-dessus du jarret [au mollet] et à l'encolure. » En vérité, c'est bien à la base de l'encolure, et derrière le grasset, au-dessus du jarret, que l'homme de cheval flatte son compagnon !... Nous retiendrons le commentaire suivant du professeur Tabbarah car il traduit bien, après quelque quatorze siècles, l'enseignement du Prophète de l'Islam : « L'amour que Salomon éprouve pour les chevaux provient de la présence de Dieu en eux. Car les chevaux constituent un moyen matériel de lutte pour la gloire de Dieu. [Salomon] donne une leçon au croyant, afin que son amour soit pour Dieu seul. [En effet] chaque fois que l'on s'attache à un bien matériel [pour lui-même] on dévie de la voie de Dieu. »

Selon Ibn Abbas - cité par Ibn Hodeil et la plupart des hippiatres arabes - le premier des chevaux de Salomon qui fit souche chez les Arabes leur échut dans les circonstances suivantes : « Des gens d'Al-Azd, habitants d'Oman, étaient venus voir Salomon, fils de David... Ils songèrent ensuite à prendre congé et dirent : « O Prophète de Dieu, notre pays est éloigné et nous manquons de provisions. Fais-nous en donc donner assez pour arriver chez nous. » Salomon leur remit un cheval pris parmi les coursiers de David et leur dit: « Voilà vos provisions ; lorsque vous camperez mettez sur ce cheval un homme que vous armerez d'une lance, cependant que vous rassemblerez du bois et allumerez du feu. Vous n'aurez pas rassemblé votre bois et allumé votre feu que le cavalier ne vous ait déjà apporté quelque gibier. » En effet, ce cheval était si rapide qu'il attrapait tous les gibiers : onagres, gazelles, mouflons. Si bien qu'il rapportait toujours de quoi leur suffire et au-delà. Les gens d'Al-Azd dirent alors : « Aucun nom ne convient mieux à notre cheval que Zad er-Rakib » (Le viatique du cavalier). Et Ibn Hodeil al-Andalusi ajoute: « Ce fut donc le premier cheval, provenant des écuries de Salomon, qui fit souche chez les Arabes ; c'est à lui que remonte l'origine des étalons arabes. »

Ibn Kelbi, dans son ouvrage cité plus haut, rapporte que lorsque la tribu des Banu Taghlib entendit parler de Zad er-Rakib, ses gens vinrent trouver ceux des Azd et leur en demandèrent la saillie pour leurs juments. Parmi les produits se trouva un cheval supérieur à lui et on l'appela : Al-Hujaïs. A leur tour les Banu Bakr ben Wahil procédèrent de la même façon pour avoir des produits d'Al-Hujaïs. Il en naquit un cheval supérieur au père et ils le nommèrent Al-Dinari. Jusque-là, les auteurs s'accordent dans leurs exposés sur la filiation des « Safinat ej-jiyad » [Voir chap. VI, Le vocabulaire du cheval arabe.]. Car nous nous situons jusqu'ici dans une période plus du domaine de la mythologie que de celui de la généalogie.

Arrivé à ce point, les difficultés apparaissent avec le problème des deux Awaj. Ibn Kelbi, poursuivant la lignée de Zad er-Rakib, nous apprend que les Banu Amir demandèrent aux Banu Bakr la saillie d'Al-Dinari pour leur jument Sabal. C'était la meilleure fille de Sawada et de Fayad. Sawada était fille de Kasama qui avait appartenu aux Banu Jaada, ainsi que Fayad. « On affirme, dit-il, que celui-ci était de la souche de la tribu Wabar, descendant de Uman fils de Lud, fils de Sem, fils de Noé. Cette tribu disparut et ses chevaux vécurent à l'état sauvage, jusqu'à ce que les Banu Jaada s'emparent de Fayad. Le produit d'Al-Dinari et de Sabal fut Awaj, qui naquit chez les Banu Amir. A partir de là les auteurs ne s'accordent plus, de sorte que dans la lignée orthodoxe du cheval arabe apparaissent deux awaj : Awaj Akbar (le grand) et Awaj Asghar (le petit). Ibn Kelbi affirme, se référant à Mohariz ben Jaffar qui le tenait de son père et celui-ci de son père, qu'Awaj (Akbar) des Banu Hilal n'est pas le descendant de Zad er-Rakib. « Il est au-dessus de cela, il vient de la souche des Wabar, sa mère, Sabal, ainsi que son père étaient issus de cette souche. » (Plus ancienne que celle de Zad er-Rakib puisqu'elle remonterait à Noé!)... Il ajoute que d'ailleurs son propre père le lui avait confirmé. « Awaj (Akbar) était le seigneur des chevaux connus. Il appartenait au Roi des Kinda. Celui-ci combattit les Banu Suleym et il perdit cet étalon. Il avait appartenu avant aux Banu Hilal et sa mère, Sabal, fille de Fayad, appartenait aux Banu Jaada... Puis les Suleym rendirent Awaj (Akbar) aux Banu Hilal. Utilisé comme étalon, il donna des produits Jiyad (voir chap. VI). C'est à partir de lui et de ses produits que se sont répandus les bons chevaux des Arabes. » Ibn Kelbi, avec l'honnêteté caractéristique d'un généalogiste arabe, signale que d'autres auteurs donnent une autre version selon laquelle Awaj Akbar serait fils de Dinari, fils de Hujaïs, fils de Zad er-Rakib. Ça n'est pas son opinion personnelle. Pour lui le fils de Dinari était Awaj Asghar qui appartint à la tribu des Banu Suleym ben Mensour, puis après à celle des Bahra. Nous retiendrons donc que, dans le nobiliaire des anciens chevaux arabes, il existe deux Awaj et que les opinions sont partagées à leur sujet.

Quoi qu'il en soit les auteurs tombent d'accord pour dire qu'Awaj (chacun l'identifiant à l'Akbar ou à l'Asghar) donna avec une jument des Banu Taghlib des produits de qualité dont le célèbre Dhul'Oqal qui appartint ensuite aux Banu Riyah. Dhul'Oqal eut un produit tristement célèbre, Dahis, qui fut cause d'une guerre fratricide dans la tribu de Ghatafan, guerre qui dura quarante années ! Ibn Kelbi affirme donc que la plupart des chevaux de race remontent à Awaj, tradition qui se perpétuera en Islam jusqu'à l'émir algérien Abd el-Kader. Après Dahis, Ibn Kelbi poursuit la filiation des chevaux jusqu'à son époque (IXe siècle de notre ère). Il cite en tout cent cinquante-sept chevaux. Parmi eux, citons: Ghorab, Al-Wajih, Lahiq, Al-Mudad, Mekbub, Al-Harun.

Deux vers du poète antéislamique Nabigha Dobiani nous montrent comment les généalogistes arabes ont construit leurs filiations des chevaux. « ...Montés sur des produits d'Al-Wajih et de Lahiq qu'ils excitent à l'aide de fouets... ». Preuve suffisante, d'abord pour accréditer la qualité de ces chevaux comme chefs de lignées, et ensuite pour les situer dans le temps, soit vers la fin du VIe ou au début du VIIe siècle de notre ère.

Voilà donc la généalogie du cheval établie par les spécialistes de la Nation arabe. On remarquera qu'une partie s'enracine dans la mythologie nationale fort respectable, et que la datation que nous avons faite (voir ci-dessous) en nous aidant de la Bible et des travaux de Caussin de Perceval sur les généalogies des Kathanides et des Ismaélites, montre qu'au fur et à mesure que l'on entre dans l'ère historique préislamique la réalité des étalons cités devient certaine. Ainsi Dhul'Oqal a été chanté par Antara ; la guerre de Ghatafan est parfaitement connue ; Al Wajih et Lahiq ont été cités par Nabigha (Ier siècle avant Mahomet).
1_01_03_08_10_27_19.JPG

On peut donc tenir pour un fait acquis que les généalogies traditionnelles du cheval arabe ne prennent de réalité historique qu'après le début de notre ère. C'est d'une importance capitale.

Le témoignage de Léon l'Africain

Al-Hasan ben Mohamed al-Wazzan-ez-Zayati, est né à Grenade entre 1489-1495. Il est connu en Europe sous le nom de Jean Léon l'Africain. Après la prise de Grenade par les rois catholiques - en 1492 - qui en expulsèrent les musulmans, la famille d'AI-Hasan se réfugia à Fez avec de nombreux Andalous qui s'y fixèrent. De nos jours encore le quartier des Andalous constitue une partie importante de la capitale religieuse du Maroc.

Al-Hasan devint donc marocain. Grand voyageur, il rassembla de nombreuses notes sur l'Afrique. Capturé par les corsaires chrétiens à Djerba, il fut donné au pape qui le fit baptiser sous ses propres prénoms Jean et Léon. « Ayant appris l'italien, Léon a composé en cette langue un ouvrage de géographie en partant de ses notes rédigées en arabe », nous dit A. Epaulard, traducteur d'une nouvelle édition parue en 1956 de l'ouvrage de J. L. l'Africain, Description de l'Afrique. La première édition date de 1550.

Dans la neuvième partie, intitulée « Des Animaux », on peut lire sous le titre « Le Cheval barbe » : « Ces chevaux sont appelés en Italie barberi et il en est ainsi dans toute l'Europe parce qu'ils viennent de Berberie. Ils sont d'une espèce qui naît dans le pays. Ceux qui croient qu'ils sont d'une race spéciale se trompent parce que les chevaux communs en Berberie sont comme ceux d'ailleurs. Mais tant en Syrie qu'en Egypte, en Arabie déserte et heureuse qu'en Asie ceux qui sont particulièrement agiles et rapides sont appelés en arabe : des chevaux arabes. Les historiens considèrent que cette espèce provient des chevaux sauvages qui erraient dans les déserts d'Arabie et que les Arabes se sont mis à domestiquer depuis le temps d'Ismaël, si bien que le nombre de ces animaux s'est accru et qu'ils se sont répandus dans toute l'Afrique. Je tiens une telle opinion pour fondée parce que, à l'époque actuelle, on voit encore quelques-uns de ces chevaux sauvages dans les déserts d'Arabie et dans certains déserts de l'Afrique. J'ai vu moi-même dans le désert de Numidie, lors du second voyage que j'y ai fait, un poulain d'un an et demi qui était blanc et avait la crinière dressée, avec la figure d'une bête sauvage. Il n'était pas à deux jets de pierre de moi. La principale épreuve de vitesse pour ces chevaux est une course après un animal nommé Al-Lamth (l'antilope oryx) ou après une autruche. Quand un cheval arrive à rejoindre l'un de ces deux animaux il est estimé à une valeur de mille ducats ou de cent chameaux. On trouve peu de chevaux arabes en Berberie. Mais les Arabes du désert et les populations de Libye en élèvent beaucoup dont ils ne se servent ni pour voyager, ni pour combattre, mais seulement pour chasser. Ils ne leur donnent rien d'autre que du lait de chamelle deux fois par jour et la nuit. Ils les maintiennent ainsi ardents et légers, quoique plutôt maigres. A la saison des pâturages, ils leur laissent manger de l'herbe, mais alors ils ne les montent pas. »

Ce témoignage, l'un des premiers, sinon le premier, écrit en une langue européenne sur ce sujet, est intéressant à plus d'un titre. D'abord, et c'est pour cela que nous le citons dans ce chapitre, il confirme d'une façon globale la généalogie du cheval de course (agile et rapide) apparu au Proche et au Moyen-Orient, et connu dans le monde occidental seulement depuis l'Islam. Ensuite, il nous fait connaître le véritable nom de ce cheval : Arabe. On le verra plus loin, c'est cela son nom unique, recouvrant toutes les variétés qui seront inventoriées à partir de la fin du XVIIIe siècle. Par ailleurs, il définit, dès le XVIe siècle, l'aire d'élevage de ce cheval selon la conception des Arabes, rejetant ainsi et d'avance les querelles des auteurs européens contemporains. Cette aire comprend la Syrie, l'Egypte, l'Arabie péninsulaire et même l'Asie (entendons l'Asie occidentale bien sûr). Enfin, s'il note qu'il y a peu de chevaux arabes en Berberie, c'est-à-dire en Afrique du Nord du Sahara, par contre il signale, et c'est très important, que « les Arabes du désert et les populations de Libye en élèvent beaucoup ». Or, si l'on regarde une carte d'Afrique du XVIe siècle, on remarque que la Libye désigne tout le désert de l'Atlantique au Nil. Elle comprend en particulier le Sahara algérien. La région précisément où le général Daumas et l'émir Abd et-Kader les étudieront au milieu du XIXe siècle. Ils y trouveront en particulier la descendance d'Awaj. Nous y reviendrons.

La Légende des cinq juments

On ne saurait traiter de la filiation du cheval arabe sans rapporter la légende des « Khamsa », bien qu'elle n'ait aucun fondement historique, qu'elle n'apparaît nulle part dans les écrits des maîtres arabes de la grande époque, étant d'origine populaire et largement postérieure à l'Islam. Mais elle a pris une telle importance dans la littérature moderne européenne sur le sujet que nous étudions, que nous ne pouvons pas l'ignorer. Car elle est devenue la base de la catégorisation du cheval arabe à notre époque. Catégorisation de la race arabe en différentes familles ou lignées pour les uns, variétés pour les autres.

On trouvera au chapitre VI (le vocabulaire du cheval arabe au regard de la philologie) une version de cette légende que nous avons empruntée à Mohamed Pácha dans son livre imprimé en 1907, Nokbat iqd al ajiyad fi safinat ajjiyad. Il en existe d'autres, dont nous retiendrons celle, fort répandue en Occident, des Cinq juments du Prophète. Mahomet, le Prophète de Dieu, avait dressé son camp sur les bords d'une rivière. Il avait avec lui des juments et pendant plusieurs jours, il ne leur donna rien à boire. Elles souffrirent beaucoup de la soif. Lorsque enfin, il les lâcha, elles se précipitèrent vers la rivière. C'est alors que le Prophète fit sonner le ralliement par ses trompettes. Du troupeau qui galopait vers le fleuve, cinq juments se détachèrent. Cinq juments qui revinrent vers leur maître, renonçant à boire, mais gardant l'oeil brillant et hennissant gaiement. Le Prophète leur donna sa bénédiction, et depuis on les appelle : Al Khamsa ar Rasul Allah, « Les cinq du Prophète de Dieu ». On dit que c'est à elles que remontent les plus nobles lignées d'Arabie. Leurs noms étaient: Obeya, Saklawiya, Koheila, Hamdaniya et Habdah.

Dans son livre Voyages en Arabie, paru en 1835, l'explorateur suisse Burckhardt écrivait : « Les Bédouins comptent cinq races nobles de chevaux, descendues suivant eux, des cinq juments de prédilection de leur prophète. C'était: Taneïssé, Manekié, Koheilé, Saklawiyié et Djulfé. Ces cinq races principales se subdivisent en une infinité de ramifications. » Nous sommes donc en présence d'une tradition populaire postislamique, soit profane comme celle rapportée par Mohamed Pacha (chapitre VI), soit à substrat religieux comme celle que nous venons de citer. On peut d'ailleurs penser que cette version vient de la première, ayant reçu cette coloration religieuse à l'époque de ferveur islamique des premiers siècles après la conversion. Si les Bédouins ne se sont pas convertis facilement et s'il fallut toute l'autorité du calife Omar pour placer toute la Nation arabe sous le signe du croissant, par la suite, au contraire, la vie tribale fut imprégnée totalement par les concepts islamiques, et toute la mythologie des Arabes errants fut repensée. Mais elle ne manqua pas de se perpétuer en s'intégrant à l'Islam. Comme l'écrit L. Mercier, le traducteur d'Ibn Hodeil : « Ce qui frappe le plus dans cette traduction [traduction de la version profane de Mohamed Pacha], c'est le rôle considérable qu'y joue le chiffre cinq. » Cinq juments et, on le verra au chapitre VI, cinq hommes, cinq courses... Les Européens hériteront de cette tradition orientale qui, notons-le, n'apparaît pas dans les écrits de l'émir Abd el-Kader. De nos jours la division de la race arabe en cinq familles est universellement admise. Cela complique singulièrement la question car l'accord ne s'est pas fait sur leurs noms.

Le spécialiste bien connu du cheval arabe, Carl R. Raswan, qui a consacré sa vie à la recherche de sa généalogie, a tenté d'en faire le tableau dans son ouvrage Der Araber und sein Pferd, paru à Stuttgart en 1930. Partant de la souche mythique et folklorique du Kohelan Ajuz (dont nous parlerons plus loin), il fit l'inventaire des familles réputées en descendre et en trouva cent vingt-quatre. A partir de ces familles, il aboutit dans un premier étage chronologique aux cinq juments du Prophète: « Al Khamsa » : Obayan, Saklawi, Kohelan, Hamdani et Habdan. Les associant ensuite avec d'autres lignées qu'il a inventoriées chez les Bédouins du Proche-Orient, il aboutit à un deuxième étage de l'arbre généalogique où il les réunit en cinq nouvelles familles : Chuweiman, Dahman, Muniki, Abu Arqub et Jilfa
[Carte : Tableau des migration de l'Equus caballus avant l'ère historique]
1_01_03_08_10_40_48.jpg

Il les appelle Al Khamsa al Dinari, les cinq de Dinari !... dont on sait qu'il a réellement existé et fut père de l'un des Awaj auquel tous les généalogistes arabes font remonter leurs chevaux nobles. Tout cela est admirable et a demandé un travail d'enquête considérable parmi les tribus bédouines, ainsi qu'une gymnastique intellectuelle remarquable pour arriver à faire « coller » les dires des paysans éleveurs aux écrits des maîtres arabes que Raswan connaît bien. Or, dans son dernier ouvrage paru en 1967, Les chevaux arabes, cet auteur, très sérieux au demeurant, semble avoir abandonné l'idée d'une généalogie continue « du cheval sauvage d'Arabie » (?) aux familles actuellement recensées ! Il se contente de nous faire part de sa « conviction intime ». Cette attitude nous semble plus honnête et chacun doit en faire de même.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que ces traditions populaires ne résistent pas à la critique historique. Aucun auteur arabe de la période classique n'en a fait mention. Elles ont toutes la même origine : à savoir la tradition orale des Bédouins analphabètes nomades du Proche-Orient, où Niebuhr et Burckhardt les ont recueillies à la fin du XVIIIe siècle.​
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
Regard sur l'histoire de la Nation arabe.
A la recherche de l'origine du cheval dans la péninsule arabique

Noé était un homme juste, intègre
au milieu des hommes de sa génération.
Il marchait avec Dieu.
Noé eut trois fils : Sem, Cham et Japhet.
PENTATEUQUE, Genèse VI, IX



Le peuplement du Proche-Orient. Les Sémites

« Et au septième mois, le dix-septième jour du mois, l'Arche s'arrêta sur la montagne d'Ararat (en Arménie). Les eaux diminuèrent peu à peu... Alors Dieu parla à Noé : « Sors de l'arche, lui dit-il, avec ta femme, tes fils et les femmes de tes fils et les animaux de toutes espèces, qui sont avec toi... afin qu'ils se répandent sur la terre, qu'ils soient féconds et qu'ils se multiplient. » (Genèse, VIII, IV et XV).

Les trois fils de Noé étaient Sem, Cham et Japhet. Ce dernier est considéré comme l'ancêtre des peuples indo-européens. Les fils de Cham furent Mesraim, ancétre des Philistins ; Kanaan, ancêtre des Kanaanites et des Phéniciens. Et enfin Kouch d'où sortirent : les Sabéens de l'antique royaume de Saba qui émigrèrent plus tard en Abyssinie (Sabéens kouchites) ; les Dadanites qui nomadiseront longtemps dans les steppes du Proche-Orient (Isaïe XXI, XIII « Oracle des Steppes »), considérés parfois comme descendants d'Abraham et de Cétura ; et les fils de Nemrod « qui fut le premier homme puissant de la terre » (Genèse X, VIII) et « qui établit d'abord son empire à Babylone » (Genèse X, X) où ils rencontrèrent et se mélangèrent aux Touraniens (descendants de Japhet). C'était, dit-on, au troisième millénaire avant notre ère. Maspéro, dans son Histoire ancienne, nous apprend que, « placées l'une à côté de l'autre et comme enchevêtrées l'une dans l'autre, les tribus touraniennes et kouchites ne tardèrent pas à s'allier et à se confondre ». De cette union sortirent des populations mixtes qui peuplèrent le plateau d'Iran et le grand désert de Syrie. Ce furent les premiers Babyloniens.

Quant aux fils de Sem, ils s'étaient établis dans la péninsule arabique. « Le pays qu'ils habitaient s'étendait depuis Messa jusqu'à Séphar, la montagne de l'Orient ». (Genèse X, XXX). Le problème de l'identification de Messa n'est pas encore résolu de façon certaine. D'après Glazer, ce serait Maciya près du mont Shammar en Arabie centrale. Pour d'autres ce serait Mesène (ou Maïsàn en syriaque) à l'embouchure commune du Tigre et de l'Euphrate dans l'Irak des Arabes. Quant au lieu-dit Séphar, montagne de l'Orient, il a été identifié avec les chaînes de montagnes qui bordent la péninsule au sud et à l'est. Il existe en effet deux Zafar en Arabie du Sud. L'une fut la capitale des Himyarites près de Sanaa, au Yémen, l'autre est une ville de la côte sud-est qu'Ibn Batutah, le grand voyageur marocain, appelle la plus lointaine du Yémen.

Les fils de Sem s'appelaient Elam, Assur, Aram, Lud et Arphaxad. Les tribus issues des trois premiers émigrèrent, tour à tour, vers le Croissant fertile (13), selon un processus que nous retrouverons constamment au cours de l'histoire de cette région du monde. Elles s'y mélangèrent aux ethnies tourano-kouchites, et l'on reconnaît leurs ancêtres agnats dans les noms que l'histoire nous a transmis : Elamites, Assyriens, Araméens. C'était dit-on au deuxième millénaire avant notre ère. Au sens strict du terme, ce fut la première migration (14) des Sémites hors de la péninsule. C'étaient les Sémites non arabes. A leur tour, dans les siècles à venir, les Arabes devaient prendre plusieurs fois le même itinéraire de migration. Quoi qu'il en soit, nous devons retenir que dès cette époque lointaine, la péninsule entre mer Rouge et golfe Persique était déjà une zone d'émigration vers les pays de l'Oronte, de l'Euphrate et du Tigre.

D'Arphaxad, fils de Sem, par Salé, par Heber (Hébreux), par Phaleg, par Réu, par Sarug, par Nachor naquit Tharé qui engendra Abraham. Celui-ci eut trois femmes : Cétura, qui lui donna entre autres fils : Madian... Agar qui lui donna Ismaël... et Saraï, l'épouse légitime, qui lui donna Isaac. Celui-ci engendra Esau et Jacob (Israël). De ce dernier est issu le peuple des Hébreux. Selon l'historien américain P. K. Hitti, ce peuple hébreu émigra en Palestine, à travers la Syrie entre 1500 et 1200 av. J.-C. Ce fut la seconde émigration, bien définie dans le temps et l'histoire, d'un peuple sémite vers le Croissant fertile.

Le dernier peuple sémite dont nous n'avons pas encore parlé est le peuple arabe. A la suite de l'historien maghrebin Ibn Khaldun, on les a longtemps divisés en différentes catégories qui de nos jours n'ont plus de raisons d'être. Les Ariba : ou Arabes des souches les plus anciennes aujourd'hui disparues : les Mutéariba, fixés dans l'Arabie heureuse et qui étaient issus de Yectan [Le Yectan de la Bible n'est autre que la Kahtan des généalogistes arabes], autrement dit les Yectanides ou Kahtanides. Ils comprenaient au début de notre ère les Himyarites et les Kahalanides. Enfin les Must'ariba, fixés dans le Hedjaz, le Nedjd, la Palestine, la Transjordanie, la Damascaine et le désert de Syrie. C'étaient les descendants d'Ismaël par Cédar et Adnan. Au cours de l'histoire de la Nation arabe, les Ismaélites absorberont les Yectanides. De sorte que, à notre époque, bien que des oppositions ancestrales trouvent encore leurs explications dans des différences d'origines, le peuple arabe se reconnaît dans la seule descendance d'Ismaël.

Les peuplades arabes disparues étaient les suivantes : les Adites ou peuple d'Ad que l'on ne retrouve pas dans la Genèse !! Les Amalika, descendants d'un fils de Lud fils de Sem, et chez lesquels Ismaël prit femme une première fois. Les Tasm et Djadis, descendants de Gather fils d'Aram fils de Sem. Les Hadhoura issus de Yectan, fils d'Heber, arrière-petit-fils de Sem. Les Djorhom issus d'Elmodad fils de Yectan et chez lesquels Ismaël prit femme une seconde fois. Les Thamoudites ou Thamoudéens issus d'Aram fils de Sem, auxquels il faut ajouter les Madianites, souvent cités dans la Bible, issus d'Abraham et de Cétura, ainsi que les descendants de Nabayoth, dont parle l'ancien testament, fils d'Ismaël fils d'Abraham et Agar.

C'est donc la descendance d'Arphaxad fils de Sem qui devait prendre la plus grande place au plan historique. C'est à elle, nous l'avons vu, qu'appartient le peuple des Hébreux qui avant tous les autres révéla au monde « l'idée claire d'un Dieu unique ». Mais c'est à elle aussi qu'appartient le peuple des Arabes. Heber fils de Salé fils d'Arphaxad eut deux fils, Phaleg et Yectan, auxquels tous les généalogistes arabes font remonter leur peuple. Avec eux nous entrons de plain-pied dans l'histoire des Arabes. De Yectan, appelé Kahtan par les Arabes, sont issus les Himyarites qui gouverneront le Yémen du VIIe siècle av. J.-C. au VIIe de notre ère, et les Kahalanides dont les descendants gouverneront le royaume de Hira en Irak du IIe au VIIe siècle de notre ère et le royaume de Ghassan en Syrie occidentale du IIIe au VIIe Tandis que d'autres Kahalanides, les Khazradj banu Haritha, fourniront les premiers contingents ralliés au Prophète Mahomet : les Ansar (les défenseurs).

De Phaleg descendra Abraham (cf. supra) dont le fils aîné Ismaël, par son second fils Cédar (si souvent cité dans la Bible), engendrera la race d'Adnan et de Maadd. C'est de cette race que font partie : les Koraichites et le Prophète Mahomet, les Suleym et les Hawazin, premières grandes tribus cavalières ralliées à l'Islam, les Banu Bakr et les Banu Taghlib qui émigreront jusqu'au Tigre supérieur et moyen (Diar Bakr et Diar Rabia) où nous les retrouverons élevant des chevaux de race, et enfin les Anazé (15) qui nomadiseront durant des siècles du Yémen à la Mésopotamie en passant par le Nedjd, et qui seront aux temps contemporains, et aux dires des explorateurs, les meilleurs éleveurs du cheval arabe.

Ce cheval dont nous recherchons précisément l'origine (après bien des auteurs) et dont on commence à comprendre combien il est attaché à l'homme arabe, à son histoire, et singulièrement à sa généalogie. Raison pour laquelle nous venons d'étudier les origines du peuple arabe, faute de quoi il serait illusoire d'espérer comprendre quelque chose à celles du cheval qu'il a créé ! En effet, et c'est la clef de notre essai, nous allons assister, au cours des siècles à venir, à un véritable transfert de généalogie de l'homme arabe à son nouveau compagnon. Les origines de ce dernier, nous les avons déjà étudiées, dans le chapitre précédent, à travers la tradition écrite des Arabes, et leurs légendes populaires. Maintenant que nous connaissons les peuples de ce que désormais nous appellerons l'Arabie, nous pouvons entreprendre notre enquête sur le plan historique.

Les origines des chevaux au Proche-Orient

Pour les paléontologues, l'origine de l'espèce Equus caballus, du genre des équidés, du groupe des périssodactyles, de l'ordre des ongulés, de la classe des mammifères, est une question sur laquelle l'accord s'est fait pour l'essentiel. Des restes fossiles de l'Equus ont été trouvés en grand nombre en Amérique, en Asie continentale, en Asie Mineure et en Europe. Par contre, à notre connaissance, il n'en a pas été trouvés au Proche-Orient. De même, si l'on a découvert des ossements appartenant apparemment à un équidé près de Constantine en Algérie, ils n'ont pu être ni datés ni rattachés à une espèce connue, de sorte que l'existence d'un Equus caballus Africanus est des plus contestables et les paléontologues n'ont pas retenu cette hypothèse. L'idée est donc universellement admise de nos jours que les ancêtres du cheval, originaires d'Amérique du Nord, ont émigré au cours de l'ère tertiaire et au début de l'ère quaternaire à travers l'Asie pour aller en Chine, en Anatolie, et en Europe occidentale en passant par la Sibérie centrale. La paléontologie ne nous laisse guère de doute ; au début de la préhistoire, le cheval n'existait pas dans cette partie de la planète qui devait devenir l'aire de peuplement des descendants d'Ismaël et de Kahtan (le Proche-Orient). La question devient donc de savoir quand et comment y fut-il introduit ?

L'histoire nous apprend qu'arrivé au terme de l'évolution qui en fit l'Equus Caballus, le cheval domestiqué par les pasteurs nomades des races mongoliques et aryennes, fut importé par eux dès la plus haute antiquité : en Chine, en Inde, au Moyen-Orient (sud de la mer Caspienne), en Asie Mineure, en Europe et en Afrique, au cours des migrations et des conquêtes de ces peuples asiatiques. C'étaient les Protomongols, les Touraniens, les Kassites, les Aryens (Hittites et Mitaniens) et le peuple mystérieux des Hyksos qui conquit l'Égypte au XVIIIe siècle avant notre ère. Ces peuplades, venues d'Asie centrale rencontrèrent en une région privilégiée que l'on a appelée depuis : le Croissant fertile, les tribus issues de Cham et de Sem dont nous venons de parler. Le professeur P. K. Hitti écrit « ... l'amalgame de ces deux races a donné les Babyloniens, qui ont l'honneur, avec les Égyptiens, de nous avoir légué les fondements de notre héritage culturel. » C'est lors de cette rencontre dans les vallées du Tigre et de l'Euphrate que les premiers Sémites connurent le cheval et s'adaptèrent à son usage.

Un fait d'une importance considérable apparaît dès ce moment. Deux types de chevaux furent importés en cette région par les pasteurs asiatiques. L'un au profil convexe, aux formes rondes, à la queue portée près du corps ; l'autre au profil rectiligne, au dos large, la croupe sans pente, la queue portée loin du corps. Le premier, appelé mongolique par les hippologues du XIXe siècle, fut importé en Égypte par les rois pasteurs : les Hyksos, et de là se répandit jusqu'au Maghreb. Le second, appelé aryen, aura son aire de prédilection dans les déserts situés au Sud du croissant fertile. Plus tard il devait être appelé arabe. A ses côtés on voit apparaître dès le VIIe siècle av. J.-C., dans les bas-reliefs assyriens des « ... chevaux à chanfrein légèrement excavé et à orbites un peu saillantes. Ancêtres probables du cheval de l'Irak de Dechambre ! » (16).

Un autre fait, qui mérite examen, est que les Arabes [Les Arabes : A partir de maintenant, il est entendu que les Arabes sont pour nous les descendants d'Arphaxad, et certains descendants de Lud (cf. supra).] qui étaient alors dans la péninsule arabique où ils élevaient des chameaux, ne connaissaient pas le cheval. C'est ce que nous apprennent: la Bible, les inscriptions cunéiformes assyriennes, et les historiens de l'antiquité gréco-latine. A cet égard, les travaux de Pietrement, Les chevaux dans les temps préhistoriques et historiques (Paris 1883), restent un siècle après leur publication, la meilleure étude faite sur le sujet.

Dans la Bible, au livre de la Genèse (chap. XXXVII, verset XXV) au sujet de l'enlèvement de Joseph par ses frères qui le vendirent aux Arabes, nous lisons « Comme ils étaient alors assis pour manger, en levant les yeux, ils aperçurent une caravane d'Ismaélites venant de Galaad. Leurs chameaux étaient chargés de gomme, de baume et de ladanum, qu'ils transportaient en Égypte... Ils le [Joseph] vendirent ; pour vingt pièces d'argent aux Ismaélites, qui l'emmenèrent en Égypte. » Si les patriarches juifs ignorèrent le cheval, et même, dit-on, ont détesté ce noble animal, en revanche les rois hébreux et particulièrement David et Salomon, en adoptèrent l'usage et même, selon la tradition arabe en firent « le bien » (17) par excellence. Au premier « Livre des Rois » (IV, XXVI) on peut lire: « Salomon avait quatre mille stalles pour les chevaux destinés à ses chars et douze mille chevaux de selle. » Et encore : « C'était d'Égypte que venaient les chevaux de Salomon. » (Rois, I, X, 28). C'est à ce grand roi que rendit visite la reine du royaume fabuleux du sud de la péninsule. On lit dans ce même chapitre des rois : « La Reine de Saba entendit parler de Salomon... Elle arriva à Jérusalem avec une suite nombreuse, des chameaux chargés d'aromates et une grande quantité d'or et de pierres précieuses... Elle fit présent au roi de cent vingt talents d'or, d'une grande quantité de parfums et de pierres précieuses. » Elle ne lui fit pas cadeau de chevaux. Et pourtant tout le monde savait que c'était pour Salomon le bien le plus précieux, et tous ceux qui le pouvaient lui en offraient. « Chacun lui apportait son présent : des objets d'argent et d'or... des chevaux et des mulets. Il en était ainsi chaque année. » (Rois, I, X, 25). Ainsi il apparaît clairement que la reine de Saba régnait sur une région où le cheval n'existait pas, en ce temps-là. Bien plus, on peut rattacher à ce voyage la tradition musulmane qui veut que ce soit Salomon qui ait donné aux Arabes, les Azdites, sujets de la reine de Saba, leur premier étalon, Zad er-Rakib. En effet, on lit au même chapitre des rois, verset XIII : « Le roi Salomon donna à la reine de Saba tout ce qu'elle désirait, tout ce qu'elle demanda... »

De très nombreux textes de la Bible parlent des Arabes sous les dénominations de Dédanites, Madianites, Ismaélites ou fils de Nabayoth et de Cédar (Genèse, Isaïe, Ézéchiel), partout ils sont décrits comme pâtres et éleveurs de chameaux, jamais ils ne sont mis en scène avec des chevaux. Notons au passage que dans la Genèse (XXV, XII à XVIII), la descendance d'Ismaël est parfaitement identifiée et localisée. « Ses enfants (d'Ismaël) habitèrent depuis Hévila dans la direction de l'Assyrie, jusqu'à Sur, qui se trouve en face de l'Égypte... », c'est-à-dire de Hawileh à l'embouchure de l'Euphrate, jusqu'au désert du Sinaï. C'est très exactement la ligne que les géographes fixeront comme limite à la péninsule arabique. Donc la Bible nous apporte la preuve, a contrario, qu'il n'y avait pas de chevaux en Arabie au moins jusqu'au règne de Salomon (Xe siècle avant notre ère).

Les textes cunéiformes assyriens nous rapportent les nombreuses campagnes faites par les souverains assyriens (les Sargonides) contre les tribus arabes. Teglath-Phalasar II (roi de 745 à 727 av. J.-C.) les combattit dans le nord du Hedjaz et alla jusqu'au djebel Shammar. Sennecharib (roi de 705 à 681) fit campagne dans la région méridionale du Bahrein. Asarhaddon (680 à 669) dans le Hedjaz, le Dahna et l'Hadramaout. Assurbanipal V (668 à 626) traversa les déserts de sable (Nefud), passa le djebel Shammar, envahit le Hedjaz en direction de Djeddah et revint en Syrie par l'Arabie Pétrée (18). Tous ces textes font état de butins considérables en chameaux, en boeufs, en moutons, en esclaves hommes, femmes et enfants, que les Sargonides firent en Arabie et rapportèrent à Assur leur capitale. Nulle part, il n'est fait mention des chevaux. Et pourtant on sait que les Assyriens étaient de fins connaisseurs. Ce sont même leurs artistes qui les premiers ont fait connaître le cheval de race.

Quant aux auteurs de l'antiquité gréco-latine, ils ne sont pas moins clairs sur le sujet. Hérodote (484-420 av. J.-C.) décrivant la cavalerie de Xerxès Ier se préparant à entrer en campagne contre les Grecs en 480 avant notre ère, nous apprend ceci : « ... Les Caspires, les Paricanes, les Arabes, cavalerie équipée comme l'infanterie sauf que tous ces derniers montaient des chameaux ne le cédant en rien aux chevaux pour la vitesse. » Par ailleurs, décrivant l'Arabie « le dernier pays habité du côté du midi », il cite dans ses produits : les boeufs, les ânes, les chèvres, les boucs et deux espèces de moutons. Pas de chevaux ! Polybe (200-120 av. J.-C.), rapportant l'expédition d'Antiochus Le Grand en Arabie Heureuse (19), vers l'an 200, mentionne des contingents arabes dans son armée, mais ne parle pas des chevaux de ce pays. Tite-Live (69 av. J.-C.-17 ap. J.-C.) nous apprend que l'armée de ce même Antiochus qui fut battue par Scipion à Magnésie en 189 av. J.-C., comptait dans ses rangs des archers arabes montés sur des dromadaires. Strabon enfin (58 av. J.-C.-25 ap. J.-C.), ami intime du préfet d'Égypte Aélius Gallus, qui fit une expédition jusqu'en Arabie Heureuse en l'an 25 av. J.-C., décrit ainsi l'Arabie d'après le témoignage de celui-ci: « L'Arabie Heureuse est habitée par une population exclusivement agricole, la première de cette sorte que nous ayons rencontrée depuis les populations agricoles de la Syrie et de la Judée. Vient ensuite une contrée sablonneuse et stérile... Cette contrée est habitée uniquement par des Arabes et par des pâtres ou éleveurs de chameaux... l'extrémité méridionale du pays en revanche... est largement arrosée... elle fait en outre beaucoup de miel et nourrit une très grande quantité de têtes de bétail, parmi lesquelles il est vrai ne figurent ni chevaux, ni mulets, ni porcs, de même qu'on ne compte ni poules, ni oies... ». Comme l'a écrit le commandant Duhousset (Notice sur les chevaux orientaux, Paris, 1862) à propos de la géographie de Strabon : « ... plusieurs passages prouvent même, que les Arabes n'avaient pas encore de chevaux au Ier siècle de notre ère. » (20)

L'importation du cheval dans la péninsule arabique

C'est en parcourant l'histoire des Arabes d'Arabie avec les historiens arabes que nous allons tenter de découvrir comment le cheval fut introduit dans cette partie du monde que ses ancêtres n'avaient pu atteindre lors de leurs migrations du tertiaire et du début du quaternaire. Car un fait s'impose immédiatement. Le cheval, animal des steppes herbeuses, n'avait pu, par ses propres moyens, s'implanter dans la péninsule qui n'est et ne fut toujours que plateaux et montagnes désertiques (21), coupés, en quelques régions privilégiées, de vallées profondes où coulent quelques rivières pérennes. Cette implantation n'a pu se faire qu'avec l'homme, car sans lui le cheval ne pourrait vivre en cette région du monde. En ce pays, le cheval ne se reproduira que par la volonté délibérée de l'homme et avec son aide constante. Ce qui implique de la part de son maître un choix esthétique et un amour extraordinaire porté au noble animal considéré comme le prolongement de l'homme, comme l'être par lequel il peut exprimer tout ce que la vie austère du désert refoule en lui, en prix de sa liberté. Ne nous y trompons pas ! Ce choix, cet amour, seront payés chèrement par le Bédouin dans l'économie de subsistance qui est la sienne. Il se privera de tout pour son cheval, et en échange exigera tout de lui. Féru de pureté généalogique pour lui-même, le Bédouin sera le plus exigeant des éleveurs du monde pour les origines de son compagnon. Dans une société où l'infirme ne peut vivre, il exigera de lui toutes les qualités morphologiques et le concevra, comme lui-même, avec des muscles secs et durs. S'exaltant dans les poursuites de la chasse ou les fuites après des raids (razzias) nécessaires à sa subsistance, après les longues heures de repos forcé au campement, il le créera- car il s'agit bien là d'une création - le plus rapide, le plus soumis (dans la « participation ») et le plus généreux des animaux ! Nous touchons à la réponse au mystère historique que représente l'apparition en cette région du monde du coursier le plus parfait. Il fut le produit d'une civilisation originale : la civilisation du désert.

Dominée durant des siècles par les Sabéens Kouchites (22) et les Adites, la descendance de Kahtan (le Yectan de la Bible) les chassèrent du Yémen sous la direction de Yarob, au VIIe siècle avant notre ère. Yarob conquit tout l'Oman, l'Hadramaout et une partie du Hedjaz, et installa sa descendance en cette région, appelée Arabie Heureuse par Ptolémée. Elle devait y dominer plus d'un millénaire. Ce furent les Arabes sabéens par opposition aux Arabes ismaélites. Abdchams Saba al Akbar, petit-fils de Yarob, engendra Himyar et Kahlan. Du premier sortit le peuple des Himyarites connus des écrivains grecs et latins sous le nom d'Homérites. La dynastie des Tobbas himyarites régna dans le Yémen jusqu'à la conquête des Abyssins en 525 de notre ère. Ce peuple eut sa langue propre, différente de l'arabe. Il était en majorité sédentaire. Du second au contraire sont issues de nombreuses tribus bédouines nomades qui devaient au cours des siècles se répandre jusqu'au Croissant fertile, et se mélanger puis se confondre avec les tribus issues d'Ismaël, sécrétant une langue particulière : l'arabe.

Histoire de la descendance de Kahtan. Les Himyarites

Le vingt-quatrième descendant de Yarob (au IIe siècle av. J.-C.) Harith-er-Raich fut le premier Tobba (roi) du Yémen. Son petit-fils, Africous fils d'Abraha, aurait fait une expédition fabuleuse en Afrique jusqu'au Maghreb, le peuplant de deux tribus arabes himyarites : les Sanhadja et les Ketama (selon Ibn Khaldun), au premier siècle de notre ère. L'émir Abd el-Kader rapporte cette expédition comme origine de l'arabisation du Maghreb. Dhou-Ladhar lui succéda et régnait lors de l'expédition d'Aélius Gallus (28 av. J.-C.). Au début de notre ère régnait la fameuse reine Belkis, ou Yalcama ou Belcama que certains chroniqueurs arabes ont confondue avec la reine de Saba qui visita Salomon un millénaire auparavant. Son successeur fut l'un des plus célèbres Tobbas : Chammir-Yerah. Il aurait porté victorieusement ses armes en Irak, en Perse et jusqu'en Sogdiane où il aurait détruit la capitale appelée depuis Samarcand, c'est-à-dire Chammir-Cand (détruite par Chammir). Il mourut lors de cette expédition. On peut envisager l'importation des chevaux dans la péninsule au retour de cette expédition, conduite alors par son fils. De même on peut l'envisager au retour des restes de l'expédition d'Africous au Maghreb!...

Le petit-fils de Chammir, Zaid el Acran, fut détrôné par un usurpateur bédouin de la descendance de Kahlan : Omran ibn Amir ma Essema, dit Mozay-Kiya, de la tribu des Banu Azd. C'est au cours de ce règne que la digue de Ma'rib (23) se rompit, apportant la désolation au Yémen. Mozay-Kiya et plusieurs tribus azdites émigrèrent vers le nord. Les unes vers La Mecque et Médine (24), d'autres vers Damas, et les derniers vers l'Irak (25). Ce fut la troisième grande émigration sémite vers le nord et la première arabe au sens propre. Elle sera suivie de beaucoup d'autres. A ce sujet une tradition arabe rapporte que Mozay-Kiya aurait conseillé à ceux des Azdites qui aimaient les chevaux de se rendre en Irak. Cela tendrait à prouver que les Azdites avaient déjà, pour quelques-uns, le goût des chevaux qui auraient donc existé alors dans le sud de l'Arabie. Mais depuis peu, puisque la rupture de la digue « Seyl al Arim » a pu être datée entre 120 et 220 de notre ère et que cent cinquante ans auparavant Aélius Gallus n'avait pas trouvé trace de cheval en ce pays. Cela prouverait aussi que les peuples nomades de l'Arabie connaissaient l'Irak et le considéraient comme partie intégrante de leurs territoires de nomadisation. En vérité, notons-le une fois pour toutes, les Arabes d'Arabie n'ont jamais limité celle-ci à la péninsule (Djeziret al Arab : l'île des Arabes) comme les géographes, mais ils l'ont toujours comprise comme s'étendant jusques et y compris le Croissant fertile. Il n'existe entre les deux aucune frontière, sauf dans l'esprit des Européens.

Quoi qu'il en soit, s'il y avait des chevaux au Yémen au début du IIe siècle, d'où pouvaient-ils tirer leur origine ? Du nord ? de l'Irak, peut-être ? Mais sans doute pour un petit nombre car les armées himyarites ou les caravanes de Kahalanides ne rapportaient certainement pas des produits posant des problèmes difficiles pour la traversée des déserts. C'est évident. En revanche, on l'aura compris, les relations avec les côtes africaines de la mer Rouge et du détroit de Bab el-Mandeb étaient faciles et furent, sans doute, constantes. Par cette voie, des chevaux du Dongola, de Nubie et d'Égypte durent être introduits dès cette époque au Yémen. En nombre limité certainement, car la société himyarite, voire kahalanide, n'en avait ni l'emploi ni le goût, sauf pour une minorité d'Azdites. Or, nous l'avons vu au chapitre précédent, la tradition arabe donne aux Azdites le premier étalon de race « Zad er-Rakib ». N'oublions pas en outre que les auteurs gréco-latins nous ont décrit l'Arabie Heureuse comme une région de commerce intense, maritime et caravanier, entre l'Asie et le bassin méditerranéen. Les Yéménites eurent des comptoirs jusque sur le limes romain, et des relations avec les pays asiatiques par l'océan Indien. Dès lors on peut aussi admettre l'importation par la voie maritime de quelques sujets de la race chevaline en ce pays, en provenance de Perse ou des Indes.

Le trente-neuvième descendant de Yarob, Abou Carib, qui régna de 200 à 236 de notre ère « envahit la Chaldée. Ses troupes, arrivées près de l'emplacement de Hira, s'y arrêtèrent. Des Arabes d'Azd, de Codhaa et autres tribus, étaient depuis quelque temps fixés en cet endroit... après avoir pénétré dans l'Azerbaïdjan et ravagé le pays des Turcs, il revint dans le Yémen. » On se plaît à penser qu'à cette occasion quelques chevaux niséens et mésopotamiens furent ramenés au Yémen. Notons aussi qu'Abou Carib était contemporain d'Ardchir, fondateur de la puissance des Sassanides, qui furent de bons cavaliers dont la réputation a traversé les siècles. C'est sous le règne d'Abou Carib que se produisit une nouvelle émigration des Arabes Kahalanides vers le Croissant fertile. Il s'agit de la tribu des Rabia ibn Nacer des Banu-Lakhm. Ils émigrèrent en Irak et se mélangèrent aux Azdites, fondateurs du royaume de Hira (205).

Sous le règne de son fils Hasan Tobba (236-250) nous relevons une troisième émigration des Arabes Kahalanides. C'étaient les Banu Tay, issus de Kahlan par Odab. Ils s'installèrent près des montagnes d'Adja et de Selma, dans la région septentrionale du Nedjd. Ils en chassèrent les Banu Asad, tribu ismaélite, d'où sont issus les Anazé qui n'étaient pas encore parvenus à la puissance. Quand on sait que la tribu des Shammar, localisée au XIXe siècle dans cette région, n'est qu'un clan issu des Banu Tay, on comprend mieux la haine qui les opposa si longtemps aux Anazé. Antagonisme qui plonge ses racines dans l'histoire millénaire des tribus.

A Hassan Tobba succéda le roi infirme Amr Dhou l'Awad (Amr au brancard), puis après quatre rois peu connus, Abd et-Kelal (275-297) qui se serait converti au christianisme. Par contre, son successeur Hasan Tobba ibn Hasan (297-320) se convertit au judaïsme. Il établit son protectorat sur le sud du Hedjaz dont les habitants, les Banu Rabia, ismaélites (par Maadd et Adnan) émigrèrent vers le nord. Nous les retrouverons plus de deux siècles plus tard à Mossul (appelé précisément Diar Rabia) et presque en Arménie, à Diar Bakr, le pays des Banu Bakr descendants de Rabia, par Wail (cette ville existe encore en Turquie orientale). Nouvelle émigration... et surtout nouvelles limites de la Nation arabe. Celles qui seront imposées par le grand calife Omar, le rassembleur des Arabes.

Sous le règne du Tobba Marthad, fils d'Abd el-Kelal (330-350), monarque sage et puissant, on rapporte que l'empereur Constance lui envoya, vers 343, une ambassade à la tête de laquelle était le moine évêque indien Théophile. Constance recherchait l'alliance des Himyarites contre les Perses, et leur conversion au christianisme. « Les Députés offrirent au souverain arabe de riches présents, parmi lesquels deux cents chevaux choisis en Cappadoce... » Fait important à noter. Une période troublée succéda au règne de Marthad. Il n'est pas exclu qu'une partie au moins du Yémen (qui comprenait alors toute la moitié sud de la péninsule) ait été conquise par les Abyssins. En effet, dans son Histoire du Bas-Empire, l'historien Lebeau nous apprend que, d'après une inscription grecque du milieu du IVe siècle découverte dans les ruines d'Axoum, le souverain axoumite Aeizamas joignait à ses titres, celui de roi des Himyarites. Preuve nouvelle des relations qui existaient entre les deux rives de la mer Rouge.

A la fin de ce siècle régnait le dernier Tobba, Dhou Nowas, (490-525). Converti au Judaïsme, il fit massacrer la communauté chrétienne de Nedjran. Selon les écrivains grecs et syriens, lorsque l'empereur byzantin Justin Ier apprit ce massacre, il écrivit au patriarche d'Alexandrie, l'invitant à presser le roi des Axoumites ou Abyssins à courir au secours des chrétiens d'Arabie. Les historiens arabes nous donnent une version identique. Nous savons ainsi que l'empereur mit à la disposition des Axoumites une flotte de 600 navires, auxquels il faut ajouter 700 bâtiments légers que le roi d'Axoum fit construire. C'est une armée de 70 000 Abyssins pour les uns, 120 000 pour les autres, commandée par Aryat et par Abraha dit l'Achram (le balafré), avec des éléphants et des chevaux, qui débarqua au Yémen. La bataille avec les Himyarites et les tribus du Yémen eut lieu sur le rivage. Les Abyssins l'emportèrent. « Dhou Nowas, désespéré, poussa son cheval dans la mer et s'y noya. » (D'après Sirat-er-Rasul et Ibn Khaldun.) C'était en 525. Les vice-rois abyssins régnèrent cinquante ans sur le Yémen.

En 575, un corps expéditionnaire persan défait le vice-roi Masrouk et installe un prince himyarite – Madicarib - qui reconnaît la suzeraineté du Kesra perse Anouchir Wan. Des députations de l'Arabie entière vinrent féliciter le roi Madicarib, dont l'une conduite par Abd el-Mottalib, aïeul de Mahomet, représentant des Koraichites de la descendance d'Ismaël. La conscience d'appartenir à une même nation avait pris naissance chez les Arabes de la descendance de Kahtan et de celle d'Ismaël ! L'Islam allait parfaire l'unité spirituelle naissante. En 597, après un retour offensif des Abyssins, le roi de Perse Kesra Parwiz envoya une nouvelle expédition qui reprit le pays et fit un massacre des Abyssins. Le Yémen - l'Hadramaout - le Mahra et l'Oman devinrent des provinces de l'Empire perse. En 640, le dernier vice-roi perse se convertissait à l'Islam.

Telle fut, brossée à grands traits, l'histoire de l'Arabie Heureuse depuis sa conquête par Yarob jusqu'à l'Islam. Nous avons pu à cette occasion relever des faits intéressant directement le sujet que nous traitons : au début de notre ère le cheval n'existait pas dans la moitié sud de la péninsule. Il a pu y être introduit à de nombreuses occasions, soit en provenance du Nord : Irak et Perse, soit de l'Afrique. Il y fut importé de façon certaine au IVe siècle à partir de l'Asie Mineure, et au VIe à partir de l'Abyssinie. Mais il est à peu près certain que son usage ne s'en répandit que fort peu, et que son élevage eut peu d'extension en cette région.

Les Kahalanides

Nous avons déjà parlé, incidemment, de la deuxième branche des Arabes kahtanides, celle des Bédouins nomades issus comme les Himyarites d'Abdchams Saba al Akbar. Essayons de les connaître davantage. De Kahlan (ou Kahalan), deuxième fils d'Abdchams, par Zaid, partent deux branches distinctes, celle d'Azd et celle d'Odab.

Les Banu Azd, nous l'avons vu ci-dessus, quittèrent l'Arabie du Sud au début du IIe siècle (catastrophe de Ma'rib). Les descendants de Khazradj (voir tableau généalogique) se fixèrent au Hedjaz. Ils se rallieront les premiers au Prophète de l'Islam après sa fuite à Médine (622). Ils fourniront les premiers contingents des « défenseurs » de l'Islam : les Ansar, nous en reparlerons. Les descendants de Djafna, après avoir transité quelque temps à Ghassan dans le Hedjaz, fonderont dans la région damascaine le royaume ghassanide, vassal de l'Empire byzantin. Il durera jusqu'en 637, date à laquelle les Ghassanides rejoindront la Nation arabe islamisée. Les descendants d'Azd par Nasr, Malik et Djodhayma, qui formaient la fraction ayant, dès le II, siècle, du goût pour les chevaux (ils possédaient peut-être des produits de l'étalon Zad er-Rakib) avaient émigré, on s'en souvient, en Irak. Ils y fondèrent le royaume de Hira. Hira fut leur capitale au sud de Kufa et des ruines de Babylone.

Ils y furent rejoints par d'autres descendants de Kahlan, mais de l'autre branche, celle qui sort d'Odab. C'étaient les Banu Lakhm qui absorberont les Djodhayma et régneront sur Hira. Ce royaume, vassal du Kesra de Perse, combattit souvent celui des Ghassanides et s'étendit à certaines époques sur presque tout le désert de Syrie. La dynastie lakhmide régnera jusqu'à la fin du vie siècle. Une autre fraction de la descendance de Kahtan par Odab et Adi est importante pour notre sujet. Ce sont les Banu Kinda, qui nomadiseront longtemps dans le Nedjd et le désert de Syrie. Ils eurent des rois célèbres, tels Hodjr Akil al-Mahar et Amr al-Macsur au Ve siècle. Or c'est à un roi de Kinda qu'appartenait le fameux étalon « Awaj Akbar » père de tous les chevaux arabes selon Ibn Kelbi (voir chap. II). Enfin rappelons que d'autres descendants d'Odab, les Banu Tay émigrèrent dans le Nedjd septentrional au IIe siècle où ils rencontrèrent les Banu Asad, fils de Rabia, fils de Nizar, fils de Maadd, fils d'Adnan, d'où sont issues les grandes tribus nomades des Ismaélites : les Banu Anazé et les Banu Wail (Bakr et Taghlib).

De ces émigrations, de ces confrontations, et de cette cohabitation avec les Ismaélites naîtra la Nation arabe. Ces derniers assimileront finalement tous les Arabes venus du sud. Nous étudierons leur histoire plus loin, histoire qui se confond avec celle des Arabes au début de l'Islam. Pour l'instant nous allons établir l'arbre généalogique des Kahalanides. Puis nous nous arrêterons quelque peu à l'étude de deux peuplades arabes particulières, les Thamoudéens et les Safaïtes, dont l'histoire intervient directement dans notre recherche du cheval en Arabie.
1_02_03_08_1_31_16.jpg

Les Thamoudéens et les Safaïtes

En 1937, Mr. St. John Philby (cité par Lady Wentworth dans The Authentic Arabian Horse) découvrit à l'est-sud-est du djebel Shammar des dessins rupestres de chevaux et de cavaliers chassant la gazelle ; dessins d'une facture très élémentaire. Il les attribua aux Thamoudéens. Thamoudeni rock inscriptions Horses. Il se trouve que nous connaissons bien ces Thamoudéens, par les auteurs grecs et byzantins. C'est une peuplade reconnue formellement comme arabe par les historiens de cette nation, souche ancienne aujourd'hui disparue.

En 50 avant notre ère, Diodore de Sicile nous en avait parlé, mais pas encore comme de cavaliers. C'est Caussin de Perceval qui, dans son Essai d'Histoire des Arabes avant l'Islamisme, a élucidé le mystère qui les entoure. Il écrit: « Ces Thamoudéens sont bien les Thamoudites des Arabes. Ils ne sont pas alors décrits comme cavaliers... or on les retrouvera vers le milieu du Ve siècle... Thamoudeni equites... dans la Notice de l'Empire romain » (26). Il y eut à cette époque deux corps d'Arabes cavaliers au service de l'empereur : les Equites saraceni Thamoudeni à la frontière de l'Égypte et les Equites Thamoudeni Illyriciani en Judée (Illyriciani parce que cette unité d'auxiliaires thamoudéens avait fait campagne auparavant dans la province d'Illyrie proche du Danube où elle s'était illustrée!). Ces Thamoudites, ou peuple de Thamoud, étaient originaires du Yémen. Ils habitèrent ensuite la contrée nommée Hidjr située entre le Hedjaz et la Syrie. C'était, à l'origine, une nation troglodyte. Dans le canton de Hidjr, appelé aussi Diar Thamoud (pays des Thamoud), et qui fait partie de la longue vallée appelée Wadi-I-Cora (la vallée des bourgades), on montre encore aujourd'hui les demeures des Thamoudites, taillées dans les montagnes. C'est là que St. John Philby découvrit les dessins rupestres qu'il leur attribua ! Or, après le Ve siècle, on ne rencontrera nulle part trace de ce peuple. « Il est probable, écrit C. de Perceval, qu'au moment où la notice de l'Empire a été rédigée la nation de Thamoud était entière dans le corps des cavaliers thamoudéens, et qu'elle s'éteignit avec lui. » Nous sommes là devant un exemple typique, très bien localisé dans le temps et dans l'espace, du processus de transformation des Arabes en cavaliers, comme auxiliaires de l'Empire romain (c'est-à-dire byzantin ! ). Ces Arabes-là étaient des sédentaires troglodytes. Or, on s'en souvient, nous avions déjà rencontré des Arabes dans la cavalerie des armées de Xerxès et d'Antiochus... mais montés sur des chameaux !... Le processus est donc clair. On notera qu'il s'est développé au début de notre ère !

En 1907, M. René Dussaud a publié une intéressante étude sur Les Arabes en Syrie avant l'Islam. Il y écrit « Au sud de Damas, à l'entrée du désert de Syrie, tout autour de la région volcanique appelée Safâ, on trouve en abondance des textes gravés sur les rochers de basalte: la population qui a tracé ces textes dans les premiers siècles de notre ère était d'origine arabe... » C'étaient des nomades en voie de sédentarisation sur le versant oriental du djebel Hauran. Ces graffiti safaïtiques sont souvent accompagnés de dessins qui les illustrent. « Ils nous offrent un commentaire familier de la vie du désert... Les Safaïtes se sont représentés sous une forme schématique, mais pleine de mouvements. Là, ce sont des cavaliers armés de la longue lance, tels les bédouins de nos jours... tantôt au repos... tantôt à la poursuite d'une gazelle ou d'une antilope. Ici, c'est la chasse au lion qu'attaquent simultanément des hommes à cheval portant la lance et des hommes à pied munis d'arcs et de boucliers [...]. Aujourd'hui encore les tribus qui vivent autour du Safâ portent le nom de « Arab-es-Safâ ». Peut-on dater ces documents ? Oui! Car il se trouve qu'à l'est du djebel Hauran, à Nemara dans le Harra (désert de pierre) se trouve le tombeau d'Imrulkais ben Amir, roi de Hira au début du IV, siècle (voir le tableau de la descendance de Kathan). Et ce tombeau porte une inscription écrite en caractères nabatéens dans laquelle il est appelé « Roi de tous les Arabes ».

1. Ceci est le tombeau d'Imrulkais fils d'Amr, roi de tous les Arabes, celui qui ceignit le diadème ;
2. qui soumit Asad, Nizar et leurs rois, qui dispersa Madhidj jusqu'à ce jour, qui apporta
3. le succès au siège de Nadjran la ville de Shammar, qui soumit Maadd, qui préposa ses fils
4. aux tribus et les délégua auprès des Perses et des Romains. Aucun roi n'a atteint sa gloire jusqu'à ce jour.
5. Il est mort l'an 223, le septième jour de Kesloul, que le bonheur soit sur sa postérité.

Cette date décomptée selon le calendrier romain de la province (romaine) d'Arabie donne : le 7 décembre 328 de notre ère.

Ce texte est d'une grande importance. Il nous prouve que les Lakhmides (descendants de Kahlan) qui régnaient sur Hira avaient, à cette époque, subjugué les Ghassanides de la province romaine d'Arabie et gouvernaient un Etat tampon entre les Empires perse et byzantin ; Etat qui s'étendait jusqu'au djebel Shammar. Il nous montre que les Lakhmides avaient soumis les tribus des Bédouins ismaélites dont nous parlerons au prochain chapitre, les fils de Maadd, de Nizar et d'Asad, et que ces derniers avaient déjà émigré hors de la péninsule arabique, et nomadisaient dans le désert de Syrie jusqu'en Mésopotamie, dès cette époque, fait à noter ! Il nous permet aussi de dater les dessins safaïtiques qui représentent des chevaux, déjà très typés, montés comme au début du XXe siècle, à la manière des Bédouins. Ainsi il nous apporte la preuve que les Arabes kahalanides et ismaélites avaient adopté le cheval dès les IIIe et IVe siècles, dans cette région de Syrie proche de la Mésopotamie et de l'Irak. R. Dussaud écrit : « ... ces croquis sont suffisants pour montrer que le cheval de race existait dès cette époque... » Enfin l'inscription du tombeau d'Imrulkais ben Amir nous prouve que « la langue safaïtique est un dialecte arabe, voisin de l'arabe du coran ou arabe littéral ». Elle nous apporte donc un des plus anciens témoignages de la langue des Arabes. Il n'est pas étonnant, remarquons-le au passage, que cette inscription ne soit pas faite en écriture arabe, puisque l'on sait que celle-ci ne sera arrivée à maturité qu'au siècle suivant, à La Mecque, en provenance précisément de Hira. D'autres textes safaïtiques ont été trouvés ; ils nous apprennent que la principale occupation des Safaïtes était l'élevage du bétail. Ces textes mentionnent: le chameau... gamal ; le cheval... Khil et faras ; la chèvre... Ma'az. Il est particulièrement intéressant de noter, la preuve est là, que le cheval a été adopté par les Arabes avec un nom : Faras, d'origine persane. Par ailleurs, nous remarquons que le mot Khil était déjà en usage, mot auquel les philologues arabes postislamiques ont donné une origine religieuse. Nous l'avons vu et nous en reparlerons.

Avec tous les éléments que nous possédons déjà, nous pouvons donc conclure avec Pietrement et P. K. Hitti que « de Syrie le cheval fut introduit en Arabie après le commencement de notre ère... » ; avec L. Mercier, le professeur anglais Ridgeway et d'autres, qu'il le fut aussi à partir de l'Afrique, par le Yémen, l'Égypte et la Palestine (Salomon) ; et nous ajouterons comme nous le permet de le croire l'histoire de la dynastie himyarite : à partir de l'Asie Mineure voire de la Perse... En tout cas, tout concorde pour prouver avec la plus grande certitude qu'il n'y fut importé qu'après le début de notre ère. Connaissant maintenant les origines des chevaux importés chez les Arabes, qui de peuple de chameliers devinrent un peuple de cavaliers, il nous faut essayer de comprendre comment, à partir de produits de races diverses, s'est créé le cheval pur. Ce sera l'objet du prochain chapitre.
1_02_03_08_1_35_45.jpg
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
Regard sur l'histoire de la Nation arabe.
La création du cheval arabe*

Le principe conquérant de l'islamisme,
cette pensée que le monde doit devenir musulman,
est une pensée d'Omar.
ERNEST RENAN
« Mahomet et les origines de l'Islamisme »


*Ecrit de cette façon, le mot arabe est un adjectif qualificatif.
Associé au mot cheval, il signifie : le cheval des Arabes
Ecrit en phonétique Arab, il signifie le cheval de race par opposition aux autres chevaux !


Histoire de la descendance d'Ismaël

Le lecteur a sans doute compris notre méthode qui est de rechercher le cheval arabe dans l'histoire du peuple arabe, sans lequel il n'existerait pas. En effet, comme nous l'avons dit plus haut, comme nous le verrons plus loin, sans l'homme le cheval du désert n'aurait jamais existé. Aussi bien le lecteur comprendra que nous devons maintenant étudier la descendance d'Ismaël, dans laquelle toute la Nation arabe se reconnaît de nos jours.

D'après les croyances musulmanes, la vallée de La Mecque aurait été le berceau de la race arabe ismaélite. C. de Perceval écrit: « Cette idée me semble avoir quelque chose de juste, si on la restreint à la portion de cette race qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours, à la nation issue d'Adnan, descendant éloigné d'Ismaël. Quant aux générations ismaélites plus anciennes, l'Ecriture sainte nous les montre se développant dans les déserts situés au nord de l'Arabie [péninsulaire]... » Abraham, sur l'ordre de Dieu, emmena son fils Ismaël, et Agar l'Égyptienne, sa mère, en Arabie dans le désert où plus tard La Mecque fut édifiée. Ismaël y fit jaillir la source de Zemzem. Il épousa d'abord une fille des Amalika, qu'il répudia, puis une fille des Djohorn. Il eut d'elle les enfants qui perpétuèrent sa race : Nabayoth, Cédar, Adbeel, Mabsam, Masma, Duma, Massa, Hadad, Thema, Jethur, Naphis, Cedma. Abraham, revenu voir son fils, construisit avec lui le temple (de La Mecque), qu'ils dédièrent au Seigneur et à l'ange Gabriel. Abraham dit alors : « Ma tâche est terminée, je pars et je te confie tout ce pays et ce temple dont Dieu te constitue le Gardien. » Ismaël mourut à plus de cent trente ans.

Perceval écrit : « ... une immense lacune est ouverte ici dans la suite généalogique des enfants d'Ismaël... Le premier rejeton de la tige d'Ismaël que l'on connaisse... est Adnan... de la branche de Cédar. » Mais la descendance d'Ismaël a cependant, durant cette période obscure, une histoire bien réelle, puisque de loin en loin la Bible nous en parle.

Un demi-siècle après la mort d'Ismaël nous les voyons caravaniers chameliers, dans la Genèse (Vente de Joseph, XXXVII). Cinq siècles plus tard, associés aux Madianites et aux Amalécites, ils combattent les Israélites (Juges, VI, VII, VIII). Ce sont « tous les fils d'Orient » qui pillaient Israël. « Ils ne laissaient en Israël aucun ravitaillement, ni brebis, ni boeufs, ni ânes... Innombrables étaient-ils, ainsi que leurs chameaux. » (Juges, VI, IV, v). Gédéon les vaincra. Il dit aux Israélites : « J'ai une demande à vous faire: que chacun de vous me donne les anneaux de son butin » [...] car « ... les ennemis, qui étaient ismaélites, portaient des anneaux d'or. » (Juges, VIII, XXIV.) Il y en eut pour mille sept cents sicles d'or ! Preuve de la richesse des marchands ismaélites, ancêtres des Koraïchites, la tribu de Mahomet. Preuve aussi que les Arabes faisaient déjà un grand commerce caravanier qui les conduisait dans toutes les régions du Proche-Orient. Et cependant, à cette époque, les textes sacrés ne les décrivent jamais avec des chevaux. La société arabe n'était pas parvenue au degré d'évolution qui plus tard lui fera rechercher le cheval. Cinq siècles se passent et nous les retrouvons avec Isaïe proférant des menaces contre les fils de Cédar, vaillants archers (Isaïe, « Oracle des Steppes », XXI, XIII). La prédiction se réalise après un siècle. Holopherne, général babylonien, dévaste le pays des descendants d'Ismaël et les déporte en Mésopotamie (Judith, II, VII, XIII).

Jérémie, plus tard encore, appelle à la destruction des fils de Cédar (Jérémie, XLIX, XXVIII)

Debout ! Marchez contre Cédar
Anéantissez les fils de l'Orient
Qu'on prenne... leurs troupeaux
Qu'on enlève... leurs chameaux
..................................
Que ses chameaux soient votre proie
Et ses nombreux troupeaux votre butin.

C'était au VIIe siècle avant notre ère. Les fils de Cédar étaient déjà parfaitement décrits comme des pasteurs nomades chameliers. C'est ce que nous confirme Ézéchiel (« Chant funèbre sur la chute de Tyr », XXVII), nous décrivant Tyr commerçant avec le monde entier : « Les gens de Thogorma (Arménie) te soldaient en chevaux de trait, chevaux de selle et mulets. » (Verset XIV) « L'Arabie et tous les princes de Cédar trafiquaient avec toi pour des moutons, des béliers et des boucs. » (Verset XXI) « Les marchands de Saba [Yémen]... te payaient en aromates... en gemmes... et en or. » On le voit, la descendance d'Ismaël avait proliféré en Arabie comme pasteurs et marchands. Jamais la Bible ne nous les présente comme éleveurs de chevaux.

[tableau généalogique simplifié de la descendance d'Ismaël]

Après Ézéchiel, l'Ancien Testament se tait au sujet des Arabes. C'est alors la tradition arabe qui prend le relais. Mais nous constatons un hiatus de quelques siècles entre ces deux traditions. Il eût été étonnant qu'elles concordassent exactement. Cela aurait senti le trucage ! Il n'en est rien, et en fait l'origine ismaélite d'Adnan, l'ancêtre commun, n'est contestée par personne. « Les Arabes du Hedjaz et du Nedjd, enfants d'Adnan par Maadd, ont toujours regardé Ismaël comme leur auteur... », « ... Mahomet, qui se faisait gloire de son origine Ismaélite, n'a jamais été contredit sur ce point par les Juifs, ses ennemis. »

Les fils de Nizar. Maadd, fils d'Adnan, eut plusieurs fils dont Nizar. Celui-ci fut le père des principales tribus du Hedjaz et du Nedjd. Il eut quatre fils : Iyad, Rabia, Modhar et Anmar. Dans les ouvrages de la littérature arabe, il est fait souvent allusion à l'anecdote populaire sur la mort de Nizar. Se sentant près de sa fin, Nizar appela auprès de lui ses quatre fils et leur dit : « Mes enfants, je donne à Modhar cette tente de cuir rouge ; à Rabia ce cheval bai brun et cette tente noire ; cette esclave à cheveux gris est pour Iyad ; Anmar prendra ce sac d'argent et ce mobilier... S'il s'élève entre vous des difficultés pour le partage de mes biens, rapportez-vous-en à la décision d'Afa le Djohormite qui habite Nedjran. » Nizar mourut. Des difficultés s'élevèrent entre ses enfants qui sollicitèrent l'arbitrage d'Afa. Celui-ci leur dit : « Tout ce qui dans les biens de votre père ressemble par la couleur à la tente rouge appartiendra à Modhar. Rabia, auquel a été donné le cheval bai brun et la tente noire, aura tout ce qui est d'une couleur analogue... » Les descendants de Modhar devaient s'illustrer sur la scène du monde en fondant l'Islam dont le drapeau est rouge. Les fils de Rabia furent, sinon les créateurs, au moins les conservateurs du cheval de haut lignage, que l'on appellera, suivant un terme recueilli dans leur descendance : le Koheïli, c'est-à-dire le noir.

Les tribus issues de Rabia par son fils Asad nous sont bien connues. Ce sont celles des Bédouins grands nomades auxquels les Européens auront à faire lorsqu'ils pénétreront au Proche-Orient au XIXe et au XXe siècle. Les Anazé qui nomadiseront du Nedjd à la Mésopotamie dans le désert de Syrie, poussant parfois jusqu'au Yémen ; les Abdelkais qui iront au Tihama et au Bahreïn ; et les Banu Wail, les Bakr et les Taghlib, deux des tribus nomades les plus considérables de l'Arabie, ayant eu d'abord leur centre de gravité dans le Nedjd et les cantons alentour. Mais au début de l'histoire de l'Islam nous les trouverons en Mésopotamie, après avoir transité en Irak. C'est la raison pour laquelle la Mésopotamie est aussi connue sous le nom arabe de Diar Rabia : le pays des fils de Rabia.

Les fils de Modhar. De Modhar descend la plus illustre lignée de la tige maaddique. Ils peupleront le Hedjaz et le Nedjd, se partageant en deux branches : les descendants d'Elyas et ceux d'Aylan (ou Aslan). Ces derniers formeront les puissantes tribus nomades des Kais : Adwan, Ghatafan, Hawazin et Sulyem (les Arabes de Kais) qui joueront un grand rôle dans les premières conquêtes du Prophète Mahomet. Il trouvera parmi eux sa première cavalerie. Sous le calife Moawiya, les descendants de Kais rejoindront en Mésopotamie du nord-ouest les fils de Rabia, et on appellera la région où ils s'installèrent : Diar Modhar (Mésopotamie du nord-ouest). Mais c'étaient les descendants d'Elyas qui devaient atteindre la célébrité universelle. En effet, c'est de lui - par Modrika, Kinana, Fir Koraich - qu'est issue la tribu des Koraïchites qui avait la garde du temple de La Mecque avant l'Islam, et qui donna le jour à : Mohamed ibn Abdallah ibn abd et Mottalib, le Prophète béni de l'Islam connu en Europe sous le nom de Mahomet, né en 570.

Du jour où Mahomet entreprendra sa prédication, nous entrerons dans une ère nouvelle. Jetons un regard sur la Nation arabe à la veille de ce grand événement. Les populations arabes sédentaires du Yémen, du Bahreïn, de l'Irak, obéissaient aux Perses, mais les Bédouins de ces contrées étaient, en fait, libres de tout joug. Les Arabes de Syrie étaient soumis aux Byzantins. Ceux de Mésopotamie reconnaissaient alternativement la domination byzantine ou persane. Seules les tribus de l'Arabie centrale et du Hedjaz jouissaient d'une entière indépendance. Le judaïsme était professé dans le Yémen ainsi qu'à Khaybar et Yathrib dans le Hedjaz. Le Christianisme commençait à s'introduire parmi quelques familles de la race de Rabia, tels les Taghlibides de Mésopotamie... C'était aussi la religion des Ghassanides de la race de Kahalan, installés en Syrie romaine. « Mais tous les autres Arabes, et notamment ceux de la race entière de Modhar, étaient plongés dans les ténèbres du paganisme. Ils formaient la majeure partie de la Nation. » C'était le temps du paganisme des historiens arabes, autrement dit la période historique qui a immédiatement précédé l'Islam.

La création du cheval arabe

C'est dans la société bédouine antéislamique, libre de toute allégeance, en ce monde et dans l'autre, que commencera la sélection du cheval de vitesse et de raid, à partir des quelques équidés introduits dans la péninsule depuis le début de notre ère, comme nous l'avons vu au chapitre précédent.

On a dit (27) que la société bédouine antéislamique a représenté la meilleure adaptation de la vie humaine aux conditions du désert. Berger, éleveur de chameaux et, à un degré moindre, de chevaux, les occupations principales du nomade bédouin étaient en outre, et par nécessité : la chasse et la razzia. Il devait prendre à son voisin mieux pourvu telle ressource dont il manquait lui-même. Et cela, soit par la violence, c'était la razzia, soit par des procédés pacifiques et c'était l'échange. Le Bédouin était donc un pillard ou un marchand, ou les deux à la fois. L'agriculture et toutes les variétés de métiers étaient indignes de lui. Le désert était la seule garantie de sa liberté. Lamartine l'a bien compris et l'a dit excellemment dans sa méditation poétique, « Le désert ou l'immatérialité de Dieu » :

L'homme dont le désert est la vaste cité
N'a d'ombre que la sienne en son immensité.
La tyrannie en vain se fatigue à l'y suivre.
Etre seul, c'est régner ; être libre, c'est vivre.

Mais le désert fut plus encore pour le Bédouin, ce fut aussi le gardien de ses traditions sacrées, le site préservateur de la pureté de sa langue et de son sang, ainsi que de la pureté de ses chevaux. Un pays de liberté, un code d'honneur chevaleresque (28), une langue pure et poétique, une économie précaire où la razzia est une institution, voilà les composantes de la société bédouine au temps du paganisme. Dans cette société les hauts faits des meilleurs cavaliers furent chantés dans de nombreux poèmes, au cours de véritables joutes poétiques. Les meilleurs, écrits en lettres d'or, étaient suspendus à la porte du temple et offerts à la critique libre et publique. C'étaient les « poèmes dorés » ou Moallakat (les suspendus) dont sept nous sont parvenus [Voir infra : Le Florilège du Cheval arabe, chapitre VII.]. Ils nous ont transmis entre tous les autres, les prouesses du Cavalier des cavaliers, du chevalier, du héros, poète batailleur, détrousseur loyal, pirate du désert : Antara, qui joua sa vie tant de fois sur son cheval Abdjar, pour la belle Ablah. Lorsque la tribu des Bédouins Abs vint se soumettre au Prophète et embrasser l'Islam, vers l'an VIII de l'hégire, Mahomet, qui connaissait l'histoire de toutes les tribus, parla à leurs députés d'Antara le héros des Abs, mort depuis plusieurs années. Il leur dit: « Le guerrier bédouin que sa réputation m'eut fait le plus désirer de voir, c'est Antara. » Ernest Renan, dans Mahomet et les origines de l'Islamisme, écrit à ce sujet : « Je ne sais s'il y a dans toute l'histoire de la civilisation un tableau plus gracieux, plus aimable, plus animé que celui de la vie arabe avant l'islamisme, telle qu'elle nous apparaît dans les Moallakat et surtout dans ce type admirable d'Antar. Liberté illimitée de l'individu, absence complète de loi et de pouvoir, sentiment exalté de l'honneur, vie nomade et chevaleresque, fantaisie, gaieté, malice, poésie légère et indévote, raffinement d'Amour. »

Dans cette société le cheval, noble, réservé pour les courses, les chasses, les razzias et sélectionné dans ce but, prit une place sublimée par le fond poétique de ce peuple. Il devint l'objet de tous les soins, et le Bédouin, épris de la pureté du sang et des origines pour lui-même et les siens, sut le premier au monde conserver les lignées les meilleures. Etant très rare, et pour cause dans une économie aussi précaire, le cheval fut l'objet de soins jaloux et seuls les meilleurs furent conservés. En effet, lorsque la subsistance est à peine suffisante pour nourrir les humains, il est hors de question d'élever des chevaux qui ne possèdent pas le maximum de qualités. Les Bédouins, dès cette époque, recherchaient donc toujours l'étalon de la plus pure lignée pour leurs juments, allant parfois jusqu'à se combattre pour l'obtenir. C'est ainsi qu'est restée célèbre la guerre fratricide survenue dans la grande tribu des Ghatafan ibn Said ibn Kais ibn Aylan, entre les Abs et les Dhobyan de la fraction des Baghides, qui se combattirent pour s'approprier le célèbre Dahis descendant d'Awaj par Dhul'Oqal. Guerre dans laquelle Antara ibn Shaddad ibn Amir s'illustra. Cela se passait quelques dizaines d'années avant la prédication du Prophète Mahomet. Nous l'avons dit, les chevaux étaient rares et se trouvaient principalement dans les grandes tribus bédouines : à l'est du Hedjaz, les Ghatafan ; dans le Nedjd, les Suleym et les Hawazin. Comme nous allons le voir, ce ne sera que lorsque ces tribus se seront ralliées à l'Islam, que le Prophète Mahomet pourra entreprendre ses plus lointaines expéditions. Chaque tente ne possédait qu'une ou deux poulinières, l'étalon, comme nous l'avons dit plus haut, étant très rare. Cela explique le fait, qui a surpris les Européens, à savoir qu'aux temps contemporains, le cheval arabe pur leur est apparu classé par lignées maternelles.

Ainsi, à la veille de l'Islam, la société bédouine avait réalisé une première sélection du cheval à partir des équidés de toutes races qui avaient été importés en Arabie depuis le début de notre ère. Recherchant avant tout la vitesse, on peut tenir pour certain que les éleveurs bédouins ont préféré les chevaux hérités des Assyriens dont l'origine aryenne est admise, chevaux connus depuis l'Antiquité comme les plus rapides coureurs. C'est la raison pour laquelle on constate une filiation évidente entre le cheval des Arabes et le cheval assyrien des bas-reliefs de Ninive (musée du Louvre). Comme nous en avons déjà fait la remarque, il est intéressant de constater que sur ces bas-reliefs, on voit très nettement, figurant côte à côte, des chevaux au profil rectiligne et d'autres au chanfrein légèrement excavé et à orbites saillantes. Mais le cheval bédouin du temps du paganisme, n'était pas arrivé au terme de son évolution. Un deuxième stade de sa sélection va être réalisé par les arabes islamisés de la Nation arabe tout entière. L'initiateur en fut le Prophète Mahomet qui montra en cette circonstance son génie militaire et son génie politique.

Le Prophète Mahomet

C'est dans cette société, ou plus exactement dans la minorité de cette société fixée dans les villes de La Mecque et de Yathrib (la future Médine), que le Prophète de l'Islam devait entreprendre sa prédication. On sait les difficultés qu'il rencontra au début (nul n'est prophète en son pays) et sa fuite à Yathrib en 622. De cette date, l'hégire (la fuite) commence l'histoire de l'Islam et le calendrier musulman.

Les premières batailles conduites par le Prophète contre les Arabes païens et les Juifs, nous renseignent sur la pauvreté en chevaux des musulmans surtout et de leurs adversaires dans une moindre mesure, en ce début de la Guerre sainte. A Bedr (an II de l'hégire), les musulmans avaient dans leur troupe 314 hommes, 70 chameaux et seulement trois chevaux. A Ohod (an III) ils n'avaient que deux chevaux, l'un monté par Mahomet, l'autre par Abu-Borda. Par contre, les Koraïchites alignaient 200 chevaux. Lors de la guerre du Fossé (Médine, an V), les Koraïchites disposaient de 4 000 hommes et de 300 chevaux, tandis que les musulmans (Mohadjir et Ansàr) n'avaient pu réunir que 3 000 hommes et seulement 36 chevaux. En l'an VII, lors de la conquête de Khaybar (population juive) Mahomet réunit une armée de 1 400 hommes et 200 chevaux. C'est que, dès la fin de la sixième année de l'ère musulmane, s'étaient produits les premiers ralliements à sa cause de petites tribus bédouines. C'est à partir de l'an VII que - s'étant rendu maître de La Mecque et de Taif, ayant reçu les soumissions des tribus bédouines les plus rapprochées de Médine : les Mozaina, les Ghifar, les Djohaina, puis celle des Suleym, puissante tribu du Nedjd ; celle des Ghatafan et enfin, ayant soumis à Honain la tribu cavalière des Hawazin - le Prophète disposera d'une cavalerie de valeur. Dès lors elle pèsera lourd dans les victoires de l'Islam. En l'an IX de l'hégire (631 de notre ère) Zaid el Khil (Zaid aux chevaux) se rendit auprès du Prophète béni à la tête de l'ambassade des Tay. Comme son nom l'indique il possédait beaucoup de chevaux alors que personne, soit dans sa tribu, soit chez les Arabes en général, n'en possédait plus d'un ou deux. Parmi les montures de Zaid (29) figurait Lahiq (voir chap. II). Dès l'an IX, Mahomet envoie une expédition jusqu'en Syrie.

A considérer les chiffres que nous venons de citer on reste confondu de leur faiblesse, et on peut se demander comment, dans de telles conditions, de si grandes et si rapides conquêtes purent se réaliser ? C'est ici qu'apparaît le génie du Prophète Mahomet : génie militaire et génie politique. Renan a prétendu que c'était à Omar ibn Khattab que l'Islam devait son expansion fulgurante : « Toute l'énergie qui fut déployée dans la fondation de la religion nouvelle appartient à Omar. Omar est vraiment le saint Paul de l'Islamisme. » Mais, outre que le Prophète a disparu en l'an XI de l'hégire, il faut bien convenir qu'il léguait à ses successeurs la péninsule arabique entièrement soumise, des troupes aguerries en maints combats et déjà importantes (30 000 hommes pour l'expédition de Tabouk en Syrie en l'an IX, l'armée la plus nombreuse que l'Arabie eut jamais rassemblée). Mais il leur léguait bien plus : une tactique d'emploi de la cavalerie, et le meilleur cheval de guerre, le plus résistant, le plus rapide, ayant fait de son peuple par quelques bonnes lois et en quelques années, un peuple d'hommes de cheval qui saura choisir, adopter et élever les bons chevaux partout où il en trouvera.

Génie militaire ?

Il sut donner à son peuple l'outil et la tactique d'emploi, les mieux adaptés à son tempérament: le cheval et la tactique des peuples cavaliers des steppes.

Génie politique ?

En législateur avisé, il établit un véritable code qui faisait converger toutes les potentialités de ce peuple, vers ce but principal : la guerre pour la foi. D'abord il sacralisa la guerre pour la propagation de la foi (Djihad). Ensuite, il institutionnalisa le partage du butin. Caussin de Perceval écrit : « De l'affaire de Bedr date l'institution de la première loi faite par Mahomet relativement au butin... sentant le besoin de prévenir désormais les dissensions... Le Prophète, à son retour, publia le chapitre du Coran intitulé: El-ânfâl (le butin). » Après le prélèvement du cinquième pour Dieu, le Prophète, les pauvres et les orphelins, le reste doit être partagé également entre les combattants. Enfin et surtout il donna une place évidente au cheval, moyen principal de la guerre, tant dans le Livre sacré (centième sourate) que dans la société. Payant d'exemple, il apporta tous ses soins à son élevage et à son entretien, exemple transmis par de nombreux hadith, attribuant en outre des mérites particuliers en l'autre monde aux croyants qui entretiendraient un cheval pour le service de la foi. C'est ainsi qu'après l'expédition contre les Banu-Koraizha (an V), Mahomet fit venir pour lui des chevaux du Nedjd. « Il confia les enfants et les femmes de Koraizha qui lui étaient échus ou qui faisaient partie du quint de Dieu au Médinois Sad fils de Zaid et le chargea d'aller les vendre aux Bédouins et de lui amener des chevaux en retour », nous dit Perceval d'après le Sirat er Rasul et le Tarikh el Khamici (30). Mais il fit plus encore. A cette même affaire et pour la première fois, il établit dans la répartition du butin une distinction entre les fantassins et les cavaliers. Chaque fantassin eut une part, et chaque cavalier trois parts de butin : une pour lui et deux pour son cheval, privilège qui serait exorbitant si n'apparaissait pas clairement l'idée du législateur : favoriser l'élevage du cheval.

A la fin de cette même année (cinquième de l'hégire), le Prophète fit organiser, à Médine, des courses de chevaux. Ceux qui étaient préparés, mis en souffle, eurent à parcourir la distance de six milles environ. Les chevaux non préparés avaient à courir seulement un mille (d'après le Tarikh el Khamici). Mahomet montrait bien ainsi l'intérêt qu'il portait à remonter sa cavalerie de chevaux rapides et résistants. Il faudra attendre longtemps pour voir un chef militaire s'intéresser un peu à cette question.

Mais Mahomet avait des vues plus lointaines. Lors du partage des dépouilles des Juifs de Khaybar en l'an VII, il introduisit une distinction nouvelle, qui en dit long sur son génie, entre ceux de ses compagnons qui avaient des chevaux nobles, et ceux qui avaient des chevaux communs. Il donna aux premiers quelque chose hors part, afin sans aucun doute d'encourager le développement de la race noble (d'après le Sirat er Rasul). On voit ici l'éleveur, parfaitement conscient de la méthode à employer (puretés des lignées, et sélection par les courses longues), percer sous le capitaine qui avait compris l'importance que devait prendre la cavalerie dans les guerres à venir. On peut donc dire que le Prophète Mahomet est le véritable créateur du cheval noble.

A sa mort en 632, Mahomet laissait à ses successeurs, une religion, un code de lois, et toute l'Arabie péninsulaire soumise et convertie à l'Islam. Abu Bekr, le premier calife, consolida ces conquêtes. Mais c'est à Omar ibn Khattab, le deuxième calife, que devait revenir l'honneur de rassembler toutes les tribus arabes en un seul corps de Nation et sous le gouvernement d'un seul chef. Ce fut son idée constante et il sut la réaliser totalement. En l'an XVI de l'hégire, alors que déjà ses lieutenants traversant le Tigre partaient à la conquête de la Perse, il ne restait plus que quelques tribus arabes insoumises réfugiées sur les terres de l'empereur Héraclius au-delà de l'Oronte. C'étaient des Banu Iyad de la race de Nizar. Omar écrivit à Héraclius. « J'apprends qu'une peuplade de ma nation s'est enfuie sur tes domaines. Rends-la moi ou je jure de faire tomber ma vengeance sur tous les chrétiens qui habitent les possessions musulmanes. » Le faible Héraclius renvoya les fugitifs. Ils rentrèrent au nombre de quatre mille en Mésopotamie et en Syrie, où la plupart ne tardèrent pas à embrasser l'Islam.

C'est ainsi que vers la fin de l'an 640 de notre ère la Nation arabe, constituée en Etat, avait trouvé ses frontières définitives pour la première fois de son histoire : les limites de l'Arabie. Il est absolument nécessaire que les Européens qui s'intéressent à toutes les questions arabes de quelque ordre que ce soit, y compris l'élevage du cheval, comprennent bien une fois pour toutes, que l'Arabie des Arabes s'étend :

Du sud au nord :
'Aden, proche de Bab el-Mandeb sur l'océan Indien, à Diyarbakir (le pays des Bakr) sur le Tigre supérieur (en Turquie orientale).
De l'est à l'ouest :
Du Chott al-Arab à l'embouchure du Tigre et de l'Euphrate, à Jérusalem qui se soumit au calife Omar venu spécialement et sur la demande de ses habitants en l'an XVI de l'hégire.

La découverte du cheval arabe de haute race par les Européens, aux XVIIIe et XIXe siècles, confirme cette conception puisque c'est en Mésopotamie que Niebuhr, le premier explorateur des temps modernes, découvrit le cheval Koheili : c'est à Alep, venant de Palmyre, que fut acheté le père arabe du pur-sang anglais ! Mannicka devenu Darley Arabian.

Les conquêtes de l'Islam et le cheval de course

En 651, les musulmans arabes sont maîtres de la Perse. En 681, Sidi-Oqba fait un raid fantastique jusqu'au Maghreb occidental et, poussant son cheval dans l'Atlantique, prend Dieu à témoin qu'il ne peut aller plus loin. Dans les deux directions opposées qu'ils ont empruntées, les conquérants arabo-musulmans ont trouvé de véritables réserves de chevaux qu'ils n'ont pas manqué d'utiliser et, dans une certaine mesure, difficilement appréciable mais certaine, d'incorporer à leur élevage. C'étaient les chevaux de Perse déjà très évolués et ayant de grandes affinités génétiques avec les chevaux d'Irak et de Syrie, ancêtres de l'Arab. C'étaient les chevaux numides et maures aux origines mal connues. Nous possédons sur ce fait le témoignage du roi, errant et poète, Imrul-Kais cité par l'émir Abd el-Kader (voir au chap. VII « Le Florilège du Cheval arabe ») et ceux de quelques autres auteurs qui prouvent que les chefs arabes appréciaient les qualités du cheval berbère. De même on a pu établir qu'à la fin du VIIe siècle les califes de Damas se firent envoyer des chevaux rapides du Khorassan (31) tel, Er-Ruasy. C'était dans l'ordre des choses et il eût été étonnant et même invraisemblable qu'il en ait été autrement.

Dès 661, le califat s'installe à Damas avec la dynastie Omeyyade. En 750, il passe entre les mains d'une autre branche de la famille du Prophète, les Abbassides, qui installent leur capitale à Bagdad. C'est là que la civilisation arabo-musulmane aura son apogée, et c'est précisément là au IXe siècle que les maîtres arabes définiront une fois pour toutes le cheval : Pur de lignée, excellent à la course, et parfait dans son extérieur. Ce sont Abu Obeïda, Asmaï (Abu Saïd Abd el-Malek), Ibn Kelbi (Hicham ibn Saib), Ibn Arabi (Muhamad) dont nous étudions les travaux dans les différents chapitres de cet ouvrage. Ces travaux d'une densité exceptionnelle, et d'une rigueur scientifique admirable, pour ce qui concerne au moins ceux du zootechnicien, avant la lettre, Abu Obeïda, marquent en quelque sorte la fermeture du « Stud book » du cheval arabe et établissent la définition de ses canons morphologiques. Ils concrétisent le degré d'intérêt que les Arabes de cette époque, après la fin ou du moins la stabilisation des conquêtes, ont porté aux courses et à l'élevage des chevaux.

On assista alors à la troisième étape de la sélection du noble et parfait coursier, et la nécessité de le fixer dans ses origines, son objet et son extérieur s'imposa naturellement. C'était au IXe siècle ! Ce cheval, nous le verrons au chapitre VI, fut appelé Arab, qualifié de Safinah, c'est-à-dire : parfait, et de Jawad, c'est-à-dire : le plus généreux et le plus rapide.

On devrait arrêter là (à l'étude de ces maîtres), l'histoire du cheval des Arabes, qui eut à partir de cette époque une identité historique concrète. Mais, comme nous l'avons vu au chapitre premier, ce ne sera que huit siècles plus tard que les Européens le découvriront. La question est donc intéressante de savoir comment il fut conservé au cours de ces siècles, pendant lesquels l'Empire arabo-musulman perdit son unité, et éclata en plusieurs califats et émirats. Ce furent les tribus des nomades bédouins qui, ayant retrouvé leur liberté totale dans les steppes et déserts du Proche-Orient, le conserveront dans sa pureté et, peut-être même, en exalteront les qualités. Comme nous l'avons déjà dit pour le Bédouin lui-même, le désert sera pour son cheval aussi « le site préservateur de la pureté de son sang ». Ce fut principalement le fait de la grande confédération de tribus descendant d'Anaza fils d'Asad fils de Rabia ! Sur ce point, les explorateurs européens du XIXe siècle sont d'accord dans la majorité.

Dans ses Notes sur les Bédouins publiées en France en 1835, l'explorateur suisse J.-L. Burckhardt nous donne un intéressant témoignage. Nous le citons : « Les Anazé sont la Nation arabe la plus puissante qui se trouve dans le voisinage de la Syrie, et si on y ajoute leurs frères du Nedjd, on peut les considérer comme l'un des corps des Bédouins les plus considérables des déserts d'Arabie. Ils tiennent leurs quartiers d'hiver dans le désert de Hammad entre le Hauran et Hit sur l'Euphrate... Les Anazé ont même franchi quelquefois l'Euphrate et campé en Irak Arabi et près de Bagdad. En hiver ils forment une ligne de campements qui s'étend depuis le voisinage d'Alep jusqu'au sud de Damas. En été, ils se rapprochent des terres cultivées et rejoignent le désert dès les premières pluies. Les Anazé du nord se divisent en quatre branches. Les Ouled Ali composés de cinq tribus : El Hessené, composée de deux tribus : El Mohanna et El Mesalikh ; El Rualla tribu puissante possédant plus de chevaux qu'aucune autre parmi les Anazé. Ils occupent généralement le désert depuis le djebel Shammar du côté de Djof jusqu'au Hauran ; mais ils campent fréquemment entre le Tigre et l'Euphrate ; El Bescher, c'est la plus nombreuse des tribus arabes... Elle campe dans le Nedjd... ».

Dans sa Description du Kaire, l'historien arabe Makhrizi (32) nous parle du Sultan El Malek El Naser Ibn Kalaun qui régna sur l'Égypte au XIVe siècle (première dynastie mameluke). Ce prince développa l'élevage du cheval de course et de guerre en son pays. « El Naser... aima de passion les chevaux arabes. Il s'en faisait fournir par la tribu arabe des Banu Mohanna, par celle des Arabes Banu Fadl et autres, toutes tribus syriennes... » « El Naser traitait généreusement et magnifiquement les Arabes, les intéressait en leur achetant leurs chevaux à des prix énormes... Par la suite les Arabes Mohanna, et les autres, mirent tout en œuvre pour avoir des chevaux des autres tribus arabes... et ils recherchaient avec ardeur, avec persévérance, les chevaux de race pure, dans toutes les contrées où ils pensaient en rencontrer... Une foule d'Arabes amenèrent aux Banu Mohanna les chevaux les plus nobles, les plus généreux... Ses chevaux Mohanna, il (El Naser) n'en donnait qu'aux émirs du plus haut rang, à ses favoris intimes. El Naser avait une connaissance parfaite des chevaux, de leurs défauts, de leur noblesse, et des descendances des familles... On sut bientôt partout avec quel empressement El Naser recherchait les chevaux de noble lignée. Et du fond de l'Arabie, des bords du golfe Persique, du Bahreïn, du Hasa, du Katif, du Hedjaz, de l'Irak, on lui amena des chevaux de race pure. » Ainsi, nous le constatons, dès le XIVe siècle les Anazé élevaient des lignées de chevaux nobles. Ils resteront jusqu'au début du XXe siècle les plus sûrs conservateurs de L'Arab.
1_02_03_08_1_48_18.jpg
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
Les différentes thèses européennes sur l'origine des chevaux des Arabes


Nous pourrions arrêter ici nos recherches sur l'apparition du cheval et sa sélection chez les Arabes. Le lecteur voudra bien admettre, en effet, que l'histoire du Proche-Orient et la filiation des chevaux selon les Arabes nous ont apporté des réponses claires et suffisantes sur cette question. L'historien et islamologue Maurice Lombard les résume ainsi dans son remarquable ouvrage posthume, L'Islam dans sa première grandeur : « ... La race syrienne, née dès l'époque romaine par croisement d'étalons barbes importés en Syrie du Nord avec des chevaux iraniens (33) et que nourrissaient les pâturages d'hiver du désert steppique (Bâdiyat-aš-Šam), s'étendit à l'époque musulmane, vers le Nağd (Nedjd), région des hauts pâturages de l'Arabie centrale. »

Mais il se trouve que, depuis le XIXe siècle et jusqu'à nos jours, les spécialistes du cheval arabe - qui ne sont pas tous des historiens - ont passionné le débat sur ce problème des origines. Bien que cela ne représente qu'assez peu d'intérêt pour nous, notre étude serait incomplète si nous ignorions les thèses en présence. Elles sont au nombre de trois :

- La thèse de l'origine asiatique du cheval arabe ;
- La thèse de l'origine africaine ;
- La thèse de lady Wentworth ;
- Et leur prolongement: les deux variétés de chevaux arabes (?).

La thèse asiatique

Elle a été soutenue au XIXe siècle par William Youatt et le commandant Duhousset. Mais c'est Pietrement, dans son ouvrage que nous avons déjà cité, Les Chevaux dans les temps préhistoriques et historiques, qui a le mieux défendu cette thèse. Le lecteur l'aura sans doute découverte dans notre exposé historique car nous nous y sommes ralliés pour une large part. Ses arguments sont les suivants. La Bible ne décrit jamais les Arabes comme cavaliers, mais comme chameliers, ceci étant confirmé par l'histoire des rois assyriens. Par ailleurs, les auteurs de l'Antiquité et surtout Strabon, nous prouvent qu'il n'y avait pas de chevaux dans la péninsule Arabique un quart de siècle avant notre ère (expédition d'Aelius Gallus). Or, les Arabes surgiront sur la scène du monde au VIIe siècle, non seulement devenus cavaliers, mais dotés d'un cheval qui leur permettra de faire les conquêtes les plus fulgurantes et les plus lointaines connues de mémoire d'homme.

La conclusion s'impose : D'abord - et là-dessus tous les historiens sérieux sont unanimes - le cheval a été introduit dans la péninsule à partir du début de notre ère. Il fut adopté par les plus riches des pasteurs nomades et participa directement à la création de la très originale société bédouine du dernier siècle avant l'hégire, qui fit l'admiration de Renan. Par ailleurs, les migrations des tribus arabes, d'abord les Kahalanides, puis les Ismaélites (les fils de Nizar), s'étant toujours faites vers le Croissant fertile, ces tribus conservant toujours des relations avec leurs parents restés dans la péninsule... C'est de Mésopotamie et d'Irak que le cheval a été introduit dans le Djeziret al-Arab (la péninsule Arabique). Mais bien plus : ce cheval d'entre Tigre et Euphrate nous est parfaitement connu. C'est celui des Assyriens des bas-reliefs d'Assur et de Ninive, se présentant soit avec un profil rectiligne, soit avec un chanfrein légèrement excavé ! C'est le cheval de la vieille souche aryenne venu d'Asie centrale (Ferghana).

On voit que cette thèse d'une grande clarté débouche en outre sur une filiation du cheval arabe qui est très satisfaisante pour les zootechniciens et les amoureux du profil concave ! Pietrement avance même que cette importation a suivi le canal des tribus issues de Kahalan, et plus particulièrement celles des Azdites Djodhaima ibn Malik et des Lakhmides qui régnèrent du IIIe au VIe siècle sur le puissant royaume de Hira. « Les successeurs de Malik devinrent les alliés des Sassanides... » ; « Les rois de Hira, maîtres d'un pays d'une fertilité incomparable et renommé pour la multitude et les qualités de ses chevaux, s'étaient vite élevés à un haut degré de puissance et de splendeur... ». Ce royaume conserva des relations intimes avec la mère patrie. L'écriture arabe y fut inventée et de là introduite dans les tribus restées dans la péninsule (34), qui se réunissaient chaque année à la célèbre foire d'Okazh et pour le pèlerinage au temple de La Mecque. C'est à l'occasion de ces rencontres que se développa et s'unifia la civilisation bédouine pendant les deux siècles qui précédèrent l'Islam. Dans cette civilisation les joutes poétiques et les actions chevaleresques des cavaliers et de leurs chevaux eurent une part importante. On peut noter à ce propos qu'aucune poésie antéislamique ne cite de cavalier arabe, antérieure au IVe siècle.

La thèse africaine

Elle a été soutenue au début du XX° siècle par le professeur Ridgeway en Angleterre, le professeur Reinach (Revue d'Anthropologie, 1903, tome XIV) et le consul L. Mercier (traducteur d'Ibn Hodeil el-Andalusi, 1923), en France. Ce dernier l'exprime ainsi : « ... on peut conclure que les traditions arabes passées au crible de la critique, sont toutes en faveur de l'origine africaine de la race chevaline arabe, ou du rôle capital joué par le sang africain dans la constitution du cheptel arabe. » C'est net ! Quels sont ses arguments ?

L'argument fondamental est la perméabilité de la mer Rouge entre l'Abyssinie et le Yémen dont on a la preuve dès la plus haute Antiquité. Nous en sommes convaincus, l'histoire de cette région que nous avons étudiée au chapitre III nous en a apporté maintes preuves. Second argument : les textes anciens et les traditions arabes sur l'origine du cheval confirment cette thèse. En effet, si l'on admet que le premier étalon arabe est Zad er-Rakib, venant des écuries de Salomon, on ne peut nier son origine africaine. « C'était d'Égypte que venaient les chevaux de Salomon. » (Premier Livre des Rois, X, XXVIII). Confirmation nous en est donnée au Deuxième Livre des Chroniques (« Richesses de Salomon », I, XVI). Par ailleurs, au Ve siècle le roi-poète errant Imrulkais écrit dans un vers : « ... Sur tous chevaux de Berbera à la queue coupée, habitués aux marches nocturnes, pour le courrier. » Or, Berbera est un port de l'Afrique de l'Ouest, au sud du détroit de Bab el-Mandeb. On peut citer aussi le témoignage d'Ibn Hodeil : « On rapporte que Moslin fils d'Amir, envoya un sien cousin jusqu'en Syrie et en Égypte pour y acheter des chevaux... de fait, il ramena des chevaux tels qu'il n'en avait jamais existé de semblables chez les Arabes. » On peut approximativement dater cette anecdote de la fin du VIIe siècle. Nous ajouterons au dossier de cette thèse la poésie d'Imrulkais sur le cheval barbe, citée par l'émir Abd el-Kader (voir chap. VII, « Le Florilège du Cheval arabe »).

Pour ce qui nous concerne, nous acceptons la thèse africaine, mais dans une certaine mesure seulement et en complément à la thèse asiatique. A celle-ci nous donnons la priorité car elle va dans le sens de l'histoire des migrations arabes vers le Croissant fertile. Cependant l'origine africaine d'une partie du cheptel chevalin de la péninsule Arabique ne fait pas de doute. Nous avons d'ailleurs sur ce sujet un témoignage de première main, celui de Niebuhr, le premier explorateur européen du Yémen, qui dans sa description de l'Arabie a reproduit les chevaux qu'il a vus dans cette région. De toute évidence, avec leurs têtes lourdes et convexes, leurs croupes rondes et leurs queues attachées basses et plaquées, ils appartiennent à la race africaine. D'ailleurs, il les a différenciés du Koheli qu'il a vu dans le Croissant fertile, lorsqu'il revint des Indes. « Je présume [car il n'en a pas vus au Yémen] qu'il y a aussi des Kochlani en Dsjof, province du Yémen. Mais je doute qu'on les prise beaucoup dans les domaines de l'Imam (Sanaa-Mareb) parce que les chevaux appartenant aux personnes qualifiées de ce pays me parurent trop beaux (sic) et trop grands pour des Kochlani. » Disons pour en terminer sur cette thèse, que le professeur Ridgeway l'a poussée beaucoup plus loin. Jusqu'à avancer que le cheval arabe n'a eu d'existence réelle et concrète qu'après la conquête du Maghreb par les Arabes musulmans qui en auraient rapporté des étalons ; thèse reprise par le professeur Lombard en 1971 pour une part.

La thèse de lady Wentworth

Dans ses ouvrages : Les Chevaux et Poneys britanniques (1944) ; The Book of the Horse, Part one (1949) ; The Authentic Arabian Horse (1962) ; lady Wentworth, pour laquelle le cheval arabe fut l'amour et la passion de sa vie, a soutenu une théorie étonnante. Elle rejette catégoriquement et sans examen les thèses précédentes. Le cheval arabe vit en Arabie péninsulaire depuis la création, échappant à tout mélange, dans un pays totalement isolé du monde durant des millénaires !!! Cet animal serait donc une espèce différente de l'equus caballus que les naturalistes et les paléontologues font descendre, après une longue évolution, de l'éohippus voire de l'anchithérium, fossiles de l'ère tertiaire. Il aurait échappé à toute évolution, à toute transformation ! On n'a pas manqué de le faire remarquer à la bonne lady, ce qui était bien joué au pays de Darwin. Mais sa foi n'en a pas été ébranlée.

Il est vrai que l'Arabie dont elle parle n'est sans doute pas celle que nous connaissons, décrite comme un pays en grande partie désertique par tous les auteurs, depuis la Bible. Pour elle c'était, il y a bien longtemps, une terre fertile, couverte de forêts, parcourue de rivières, avant l'époque volcanique, période de destructions et de transformations du relief. D'où lui vient cette idée ? De la Bible dans laquelle elle a lu au Livre d'Isaïe (XXI, XIII) : In the forests of arabia we shall sleep... Quant à nous, nous lisons au même verset, version française (La Bible de Maredsous, édition de 1949) : « Passez la nuit dans la brousse de la steppe, caravanes de Dédanites... » Evidemment cela change tout !...

Dès lors elle peut affirmer : « Sauvage à l'origine, ce sujet [le cheval arabe] s'est distingué par des caractères qui en font une espèce particulière: il a été préservé en Arabie de tout mélange avec l'étranger. » Bien sûr sa mère, lady Blunt, dans son ouvrage, Les Tribus bédouines de l'Euphrate, publié en 1879, affirme sa conviction « que l'Arabie était une région où l'on a trouvé trace du cheval à son époque sauvage, et où il fut capturé et domestiqué », mais elle ajoute ce correctif important : « Néanmoins, dans le terme Arabie, je n'incluerai pas la péninsule qui, selon tous les récits que nous avons eus, n'est pas du tout une région convenant au cheval livré à la nature... ». Plus loin, elle se rallie d'ailleurs à la thèse de l'importation du cheval à partir du Croissant fertile : « Ce n'est donc pas dans la péninsule d'Arabie... que l'on a pu trouver le cheptel originel, mais bien plutôt en Mésopotamie... » Dans son dernier ouvrage, lady Wentworth assure que sa mère était revenue sur cette conviction!...

Nous en resterons là au sujet de cette thèse originale. Nous en retiendrons cependant le fait suivant. Recherchant les caractères qui, selon elle, font du cheval arabe une espèce particulière, elle avance qu'il aurait normalement cinq vertèbres lombaires au lieu de six chez les autres chevaux (35). Elle affirme avoir vérifié ce fait sur un cheval de Crabbet. (Le haras anglais où les Blunt avaient réuni d'excellents sujets orientaux qui sont la base de tout l'élevage anglais et que l'on retrouve dans les origines d'une grande partie des sujets arabes élevés de par le monde.) Cela nous conduit à parler d'une autre polémique sur le cheval arabe, qui a divisé les naturalistes français au XIXe siècle.

Existe-t-il deux variétés de chevaux arabes ?

C'est le célèbre professeur Sanson qui, au siècle dernier, a soulevé le problème - et voici en quels termes (Journal de l'Anatomie et de la Physiologie - 5e année, 1868, p. 268, « Mémoire sur la nouvelle détermination d'un type spécifique de race chevaline ».) « ... VII. Conclusions. Des recherches dont l'exposé a fait l'objet du présent mémoire, il est permis il me semble de déduire les propositions suivantes :

1. Il existe dans les contrées orientales deux types spécifiques de races du genre Equus, confondus jusqu'ici sous la désignation unique de cheval arabe ou oriental.

2. Ces deux types se distinguent à la fois par leurs caractères craniologiques, et par le nombre ainsi que par les caractères propres des pièces de leur rachis, en outre des particularités moins importantes des autres parties de leur squelette.

3. Brachycéphales tous les deux, l'un a le frontal disposé suivant une surface plane, les os propres du nez rectiligne, et six vertèbres lombaires dans le rachis, avec sept cervicales, dix-huit dorsales et cinq sacrées ; l'autre a le frontal disposé suivant une surface convexe ou bombée, les os propres du nez légèrement curvilignes, et cinq vertèbres lombaires seulement dans le rachis, également avec sept cervicales, dix-huit dorsales et cinq sacrées ; et les vertèbres lombaires de celui-ci ne diffèrent pas seulement des autres par leur nombre moindre, elles s'en distinguent encore par la forme de leurs apophyses transverses et par leur disposition dans la série.

4. Les deux types orientaux paraissent avoir des origines géographiques distinctes, comme ils sont évidemment issus de souches différentes.

5. Le type oriental à six vertèbres lombaires appartiendrait, dans l'hypothèse, au continent asiatique ; le type à cinq vertèbres lombaires, au continent africain, comme les autres types du même genre, admis déjà par les naturalistes à titre d'espèces distinctes et connus pour n'avoir, eux non plus, que cinq vertèbres, tels que les ânes et les zébridés en général.

6. La réalité et la puissance naturelle d'hérédité du type spécifique de race chevaline à cinq vertèbres lombaires, nouvellement déterminé, s'affirment même par les anomalies du rachis qui ont été observées et dont elles donnent l'explication ; ces anomalies ne paraissent être que le résultat d'un conflit d'hérédité physiologique dans le croisement de ce type avec l'un des autres déjà connus. »

M. Goubaux (36), autre célèbre naturaliste du XIXe siècle, prit le contre-pied de Sanson. Il affirma que la présence de cinq vertèbres lombaires au lieu de six n'est pas un caractère de famille, et que d'ailleurs, les multiples observations faites par les vétérinaires militaires permettent d'affirmer que la grande majorité des chevaux arabes ont six vertèbres lombaires. La question en est restée là pendant près d'un siècle, de nombreux amoureux du cheval arabe ayant admis comme un acte de foi qu'il ne possède que cinq lombaires (lady Wentworth, Mr. Mauvy... et d'autres).

Elle vient d'être reprise par les professeurs américains : William E. Jones et Ralph Bogart, dans leur ouvrage, Genetics of the Horse, paru en 1971. A la page V, ces auteurs font figurer le tableau suivant, établi d'après une étude réalisée en 1962 par R. M. Stetcher :
1_02_03_08_3_33_02.JPG

Ils en font le commentaire suivant :

« Le cheval arabe, pour beaucoup de personnes, a seulement cinq vertèbres lombaires. En fait, il a été prouvé qu'il en a généralement six, mais par contre la majorité des chevaux arabes ont une vertèbre thoracique en moins. » Et plus loin : « ... comme l'a montré Stetcher, le dos court de l'Arabe traduit habituellement l'absence d'une vertèbre thoracique plutôt que d'une lombaire. » Voilà donc le point de la question soulevée par l'affirmation de lady Wentworth et la généralisation hâtive qu'elle en a faite. On doit sagement se rallier à l'avis de Goubaux : la présence de cinq au lieu de six vertèbres lombaires n'est pas un caractère de famille. D'ailleurs, rejoignant les maîtres arabes du Moyen Age, le célèbre professeur Dechambre n'a pas retenu ce caractère dans sa classification des races de chevaux.

[Carte : Les transferts de chevaux dans le monde musulman]
http://horse.ir/forum/gallery/1_02_03_08_3_34_07.jpg
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
Le vocabulaire du cheval arabe au regard de la philologie


Le sang arabe, c'est de l'acier en fusion. Il ne se mélange pas. Il fond tout.
Il sépare d'avec tout...
JULES ROY,
« Le tonnerre et les anges », 1975.


Comme la grande majorité des hommes de cheval qui se sont intéressés à l'equus caballus arabicus, je ne suis pas lettré dans la langue du Coran. C'est pourquoi, suivant l'exemple de Niebuhr, j'écris les mots arabes en caractères latins, comme ils sonnent à mon oreille. De cette façon, je pense me placer à la portée de mon lecteur. Mais dans ce chapitre capital j'aborde un sujet qui nécessite la connaissance de la langue arabe classique. C'est pourquoi je me suis fait aider et guider par mon ami le Hadj Driss Borki, auquel revient l'essentiel de ce travail. M. Driss Borki est marocain et certains bons esprits pourraient polémiquer sur sa compétence à traiter de textes arabes le plus souvent écrits au Machrek !... Certains « spécialistes » du cheval arabe l'ont bien fait, naguère, au sujet des écrits de l'émir Abd el-Kader !... Que l'on sache bien que cette polémique n'est plus de mise de nos jours - si tant est qu'elle le fut jamais. De nos jours, où le renouveau de la pensée musulmane s'est traduit d'abord - ce qui est fondamental - par une recherche de l'unité par la langue littérale, dans tous les pays composant la Nation arabe. De sorte qu'à notre époque, il est certain qu'un lettré du Maghreb a la même capacité que son coreligionnaire du Machrek pour lire et interpréter les textes anciens.

Le vocabulaire ésotérique du cheval arabe

Depuis que le célèbre explorateur bas-saxon, Niebuhr, qui a visité l'Arabie du Sud et du Nord de 1761 à 1767, a rendu compte de ses découvertes dans son livre Description de l'Arabie, le vocabulaire concernant l'Arabe a prodigieusement augmenté... en Europe. Il est, de nos jours, difficile de s'y reconnaître et de s'en servir pour se comprendre. Il faut véritablement être initié. Au total, ce vocabulaire est très obscur (voir chap. I). Cela vient de la façon dont les Européens ont découvert le cheval arabe à l'époque moderne, et de celle dont ils ont transcrit ce qui le concerne dans leurs langues. Car tous les mots employés viennent de la langue arabe. Or un Arabe lettré et savant doit faire un effort considérable pour retrouver les racines de sa propre langue dans les mots écrits en caractères latins que nous lui proposons. Il y parvient cependant pour une part d'entre eux qui sont de l'arabe classique déformé par la phonétique européenne. Quant au reste, qui provient des langues parlées des différentes régions du Machrek et du Maghreb, il admet son incompétence, avec un sourire qui en dit long sur ce qu'il pense de la naïveté des Occidentaux. Tout le monde peut en faire l'expérience.

Ironie de la situation, les choses étant ce qu'elles sont, à notre époque où ce sont les Européens qui s'intéressent le plus au cheval arabe, les éleveurs de langue arabe doivent à leur tour apprendre ce vocabulaire, prétendument arabe, et lui donner le sens que les Occidentaux lui accordent. Niebuhr avait compris la difficulté et il l'expose avec une grande honnêteté dans sa préface que nous devons connaître et méditer :

« ... Tant que mes compagnons de voyages vécurent (37), il me parut assez inutile de m'embarrasser de questions de philologie, d'histoire naturelle et de médecine ; mais il fallut après leur mort, tâcher d'y répondre... J'ai déjà dit que dans notre voyage j'avais la géographie pour ma part. On croira peut-être que je me suis servi de divers livres géographiques arabes, inconnus en Europe ; mais je dois avouer ingénument que je ne suis pas encore assez maître de la langue Arabe pour lire couramment les livres... Je n'ai donc composé ma description de l'Arabie que sur mes propres observations et sur les lumières que j'ai pu tirer des habitants du pays (sic)... Il paraît que souvent dans un même endroit les gens de lettres arabes et le peuple prononcent diversement les noms de leurs propres villages. C'est pourquoi je n'ai pas écrit ces noms avec des lettres arabes, mais selon qu'ils sonnaient aux oreilles d'un homme né dans la Basse-Saxe... Je n'ai cependant négligé aucune occasion de faire écrire les noms arabes par des gens du pays. Quoique je ne sois pas assuré qu'ils soient tous écrits selon la vraie orthographe, on peut pourtant s'y fier mieux que si j'eusse voulu entreprendre de les écrire avec des caractères arabes. A présent le Danois, l'Anglais, le Français, le Russe, peuvent les écrire d'après leur prononciation s'ils croient que mon orthographe est fautive... Comme la philologie n'est pas mon fort... je n'ai fait que l'écrire telle que je l'ai reçue des juifs, chrétiens ou mahométans orientaux. »

Cette profession de foi de l'homme qui a introduit en Europe les premiers mots du vocabulaire moderne concernant le cheval arabe est très importante, et lourde de conséquences. Elle nous montre clairement les processus par lesquels l'orthographe des mots, importés d'Orient aux XIXe et XXe siècles, a pris différentes formes suivant les pays, et parfois différents sens aussi !!

Pour bien comprendre la complexité du problème il faut savoir ceci : langue sémitique, l'arabe écrit (comme l'hébreu) repose sur des racines trilitères formées de trois consonnes. Elles expriment seules la signification des mots. Elles servent de support aux éléments vocaliques de la langue parlée, qui permettent d'indiquer des nuances secondaires. Ces éléments vocaliques (les voyelles si l'on veut, du latin vocalis) sont, éventuellement, surajoutés à l'écriture au-dessus ou au-dessous du mot, sous forme de signes graphiques. Mais nombre de textes anciens ne sont pas « voyellés » - comme on dit en français. L'art de l'arabisant est précisément de découvrir, par le contexte, les « nuances secondaires » à apporter, par des éléments vocaliques, à la racine trilitère qui forme le mot, pour en permettre la lecture exacte. Inversement - et c'est particulièrement difficile pour l'étranger - la transcription graphique d'un mot entendu, suppose la parfaite connaissance de sa racine. Car la prononciation d'un même mot peut amener des confusions dans la transcription des consonnes qui en forment la racine, suivant l'accent de celui qui le dit. Niebuhr en avait parfaitement conscience quand il écrivait : « Il paraît que souvent dans un même endroit les gens de lettres arabes et le peuple prononcent diversement les noms de leurs propres villages. » Le lecteur comprend mieux maintenant combien les Européens ont manqué de prudence dans l'exégèse qu'ils ont faite des mots concernant le cheval arabe... surtout quand ils nous ont été transmis en caractères latins, ce qui a été le cas général.

Nous allons essayer, dans les pages qui vont suivre, de retourner à la source de la philologie et de l'histoire pour mettre de l'ordre dans tous les mots que nous avons recueillis, au cours de notre étude, dans les différents ouvrages traitant du cheval oriental. Nous nous devons de remercier très spécialement le lieutenant Driss Borki, de la Garde royale du Maroc, pour l'aide précieuse qu'il nous a apportée. Arabisant distingué, chercheur infatigable, sa qualité de jeune écuyer talentueux nous assure de la valeur de sa contribution. Qu'il nous soit permis pour conclure cette introduction à ce chapitre capital, de lui redire combien tous les éleveurs, hommes de cheval, et écuyers de langue française lui seront reconnaissants le jour où il mettra à leur disposition une étude exhaustive des textes des maîtres arabes.

La terminologie du cheval dans le Coran le livre sacré de l'Islam

1. D'après le professeur Hafid Abdelfetah Tabbarah, dans son ouvrage Avec les Prophètes d'après le Coran, édité à Beyrouth (1960).

Al-Khir [Le KH doit se prononcer comme la jota espagnole] : « C'est comme cela que les Arabes appelaient les chevaux par le même mot que « le bien » (matériel). C'est ainsi qu'ils sont désignés dans la sourate Sad du Livre sacré. » (Voir au chap. II).

Safinat : « Ce sont les chevaux qui lèvent un antérieur et restent en équilibre sur trois membres. » Par exemple pour saluer la venue de leur maître. Ce terme de Safinat a pris ensuite le sens de chevaux parfaits. Il faut remarquer qu'Abu Obeïda était d'un avis différent, pour lui ce sont les chevaux qui lèvent et étendent un postérieur. Nous avons personnellement recueilli cette tradition au Maghreb dans la région de Tébessa en 1957.

Ej-Jiyad : « Chevaux qui sont très rapides, qui font de longues foulées. » Tels sont les trois mots employés dans le Coran pour désigner les chevaux. On peut y ajouter la formule employée dans la centième sourate (voir chap. VII) : El Eadyat Dabhan : Celles qui galopent en hennissant.

2. D'après Bakhchi Mohamed el-Jeluati (+ 1658), qui a écrit Rachahat el madad fi-mayataealquo bi safinat ej-jiyad, édité à Alep en 1930. Jiyad (pluriel de jawad), a la même racine que jehd, la force, la vigueur. Il signifie donc: « Chevaux rapides dans leur course comme s'ils étaient du jehud, c'est-à-dire d'une générosité totale sans contrepartie », parce qu'ils donnent toutes leurs forces dans la course. Cet auteur emploie Safinat ej jiyad dans le sens : les plus parfaits des chevaux, c'est-à-dire qui ont la double perfection de la générosité et de la beauté.

Al-Khil : Les chevaux. Ce mot à l'origine suivante selon les Ulamas, c'est-à-dire les gens du savoir (les lettrés, les savants) : « Dieu tira de la mer cent chevaux, ils avaient des ailes, et on les appelait Al-Khir (le bien par excellence en ce bas monde). Ismaël faisait courir ces chevaux (dans un but de sélection) car il n'y avait rien de plus merveilleux pour lui que ces chevaux. » Al-Khir donna Al-Khil par déformation linguistique. Initialement féminin singulier, il a été utilisé très tôt comme masculin et féminin indifféremment. Puis il a pris un sens générique: le cheval ou les chevaux.

La terminologie du cheval dans les écrits anciens de la langue arabe

Voici dans l'ordre chronologique quelques témoignages des lettrés et savants au cours des âges.

1. Au IXe siècle

Mohamed Ibn Al-Arabi a écrit Al Kitab asma Khil al-Arab (Le Livre du Nom des chevaux des Arabes), livre où il se réfère à Ibn Abbas, contemporain du Prophète. Il a rédigé son livre dans la première moitié du IXe siècle.

« Les chevaux étaient sauvages et on ne les montait pas. Le premier qui les monta fut Ismaël... C'est pour cela qu'on les appela Arab. » Ce qu'il faut bien comprendre dans ce texte est ceci : le premier homme qui a monté et domestiqué le cheval est Ismaël, le premier Arabe, qui en outre plaçait le cheval au premier rang des biens. C'est pour cela que les chevaux qui descendent de ceux d'Ismaël sont appelés Arabes.

Arab : désigne donc le cheval de la descendance des chevaux qu'Ismaël avait mis « dans un enclos » (voir Ibn Kelbi au chap. II), c'est-à-dire le cheval pur, avec un degré de certitude maximum. Il aura plus tard un synonyme : Atiq.

Atiq : veut dire aussi pur mais avec une nuance qui montre l'honnêteté des Arabes en matière de filiation. L'Atiq est considéré comme pur sur le plan de la zootechnie, mais sur le plan de la généalogie, la présence dans sa filiation d'auteurs nés à l'étranger, ou suspectés de métissage, voire d'origine inconnue, ne permet pas de le classer Arab. Mais ayant été sauvé de l'imperfection sur le plan du Modèle et de la Course on dit de lui qu'il est Atiq, c'est-à-dire, le pur sauvé (sous-entendu de l'imperfection).

2. Au XIIIe siècle

El-Damiri - de son nom Kemal ed-din - originaire de Damirah en Egypte, qui mourut en 1405, a écrit Kitab hayat el hayawan (Livre de la Vie des Animaux).

Faras signifie le cheval de haute race. Ce mot est intéressant à étudier- nous l'avons rencontré déjà au IIIe siècle dans la langue safaïtique - on sait que le Prophète Mahomet l'a utilisé aussi bien pour le cheval que pour la jument. En fait il a la même racine que :

Furs : qui désigne les Perses.
Blad u Faras : le pays des Perses, la Perse.
Bahr u Faris : le golfe Persique... par ailleurs Fares (pluriel Fursan) signifie le guerrier d'après Wacyf Boutros Ghali. Qu'un auteur spécialisé, de nationalité égyptienne, ait écrit ce mot au XIIIe siècle, quelque six siècles après la conquête de la Perse par les Arabes et alors que le califat de Bagdad n'existait plus (invasion des Mongols), que le Prophète lui-même l'ait employé, cela est lourd de sens sur le plan de la zoologie et de la création de la race arabe, question que nous avons déjà traitée, mais il est bon en cette affaire de noter tous les arguments.

Par ailleurs El-Damiri nous enseigne les termes suivants :

Atiq : cheval pur, de père et mère arabes ;
Hedjin : cheval mélangé ;
Berdaun : cheval privé de sang arabe, cheval commun ;
Mukhrif : cheval dont la mère est arabe et le père étranger à l'inverse du Hedjin. Tous les deux sont métis. Mais le premier garde une part de considération comme fils d'un père noble.

3. Au XIVe siècle

Abu Bekr Ibn Bedr a écrit le Naseri, ou traité complet d'Hippologie et d'Hippiatrie, ou la perfection des deux arts. Traduit par le docteur Perron en 1852. Au tome II, deuxième exposition, chapitre IV, nous lisons : « Nous avons maintenant à faire connaître et à décrire le cheval Atiq ou pur-sang, le cheval Sabur ou de fond ou dur à la fatigue, le cheval Kerim ou de considération ». Plus loin il raconte cette anecdote qui concerne le calife Omar (le deuxième calife qui régna dans la première moitié du VIIe siècle) : « Abu Mussa écrivit au calife Omar, fils de Khattab : « Nous avons trouvé dans l'Irak des chevaux larges et vigoureux ; que juges-tu, prince de la foi, qu'il faille leur accorder comme part du butin ? » Le calife répondit : « Ces chevaux sont des berdauns, ceux d'entre eux qui se rapprochent le plus du pur-sang, donne leur un lot seulement ; les autres laisse-les. » Ainsi nous constatons que le calife Omar donnait à Berdaun le sens de non pur, c'est-à-dire de non arabe ; mais qu'il a une certaine inclination pour ceux qui laissent présumer la race par leur extérieur. Nous avons ici la preuve de l'intérêt que les Arabes de la conquête ont porté aux chevaux étrangers présentant de la qualité...

Par ailleurs nous avons confirmation que dès cette époque le cheval de race (arabe) est qualifié de Atiq ; les termes Sabur et Kerim semblaient qualifier les chevaux autres que de pur sang présentant des qualités de race.

4. Au XIVe siècle

Ali Ben Abderrahman ben Hodeil el-Andalusi a écrit La parure des Cavaliers et l'insigne des preux, manuscrit de la fin du XIVe siècle, traduit par L. Mercier. Au chapitre VII, il écrit : « Les Arabes ont désigné leurs chevaux de race par des noms décelant leur origine et leur noblesse, sous certains aspects particuliers. »

El Tirf : cheval beau et élancé dont les deux parents sont également distingués.
El Kharidji : c'est un jawad qui mériterait d'être Atiq s'il n'était de père et mère Hedjin. Autrement dit celui qui est sorti (Kharedj) sous-entendu de la généalogie, de la lignée, mais qui a les qualités de l'Atiq. On reconnaîtra là le phénomène génétique bien connu du « retour en arrière » qui permet de retrouver un produit pur, issu de parents métis. Et l'on voit que les Arabes lui donnent une place spéciale, et lui accordaient de la considération...
El Bahr (la mer) : coureur infatigable. Le premier qui recourut à cette image fut le Prophète...
El Aqwab : celui qui a l'encolure longue.
El Monaqil : celui qui ramène ses membres très vite, lorsqu'il court.
El Aqder : celui qui se méjuge.
El Motahlam : cheval bien suivi, beau et harmonieux.
El Moquarrab : qui vit au sein de la famille, que l'on attache tout près de la tente parce qu'on le chérit.
El Lahmum : noble, beau, harmonieux.

5. Au XVIe siècle

D'après un manuscrit arabe anonyme, n°996, de la Bibliothèque Nationale datant de 909 de l'hégire (1503) traduit par le docteur Perron (1852), Kitab al akual el Kafiah wa-el fussul el chafiah.

« Les chevaux purs... sont les plus élevés de distinction et les plus nobles, les plus dignes de considération et de soins. Ce sont eux seuls que le Livre sublime, le Coran, a désignés et que tant de paroles du Prophète ont recommandés à la bienveillance des hommes. » (Coran, chap. XXXVIII, verset XXX). « Un soir, à la nuit, on lui [à Salomon] présenta des Safinat magnifiques. La qualification de Safinat n'a trait qu'aux chevaux de pur sang et tels sont les chevaux arabes. » Nous avons ici confirmation du véritable nom, du nom le plus ancien et le plus général donné au cheval pur. Ce même auteur du début du XVIe siècle, rapporte d'une manière légèrement différente quant à la terminologie l'anecdote du calife Omar, citée ci-dessous. Omar aurait répondu : « Ces chevaux-là sont des Kawadin ou sans race. » (Le reste identique.)

Kauden (singulier), Kawadin (pluriel) : c'est le cheval sans race.

6. Au XVIIe Siècle

Bakhchi Mohamed Ej-Jeluati, mort en 1658, a écrit dans son livre déjà cité et dont on peut traduire le titre ainsi : « Etude ayant aidé à la connaissance des Safinat ej-jiyad », en citant le célèbre Asmaï, contemporain d'Abu Obeïda (Bagdad, VIIIe siècle) et Ibn Abd Rebbi, maîtres andalous du IXe, siècle :

Hearq signifie : la veine, l'artère et par extension l'origine (avec la notion de sang).
Nasab signifie : lignée.
Hariq en Nasab signifie donc : lignée qui remonte à l'origine.
Atiq signifie tout à la fois : qui se consacre au bien sans contrepartie... Pur arabe par ses deux auteurs (quand on l'applique au cheval) et qui a été sauvé de l'imperfection.
Hedjin signifie: métis (c'est-à-dire dont l'un des auteurs seulement est arabe).
Nazie signifie : dont on ne connaît pas la mère.

7. Au XIXe siècle

L'émir Abd el-Kader écrit dans Les Chevaux du Sahara (milieu du XIXe siècle) :

El Arabi : le cheval de l'espèce arabe.
El Beradin : les chevaux de l'espèce commune (pluriel de Berdaun).
Horr (pluriel Harror d'où viendrait Haras) : libre au sens propre - rapporté à un être vivant signifie qu'il n'a jamais été avili. Le cheval noble de père et mère arabes.
Hedjin : mélangé, métis dont le père est arabe.
Mekhrif : mélangé, métis dont la mère est arabe. Nous constatons que l'émir nous confirme la terminologie traditionnelle en y ajoutant deux mots propres à l'arabe algérien.
Beradin, dans lequel nous retrouvons la racine de Berdaun et qui a le même sens. Horr qui est synonyme de Atiq. Nous savons de longue date, mais peut-être est-il bon de le rappeler ici, que la langue arabe connaît quelques différences de l'est à l'ouest, du Machrek au Maghreb.

Voilà donc la terminologie du cheval d'après les écrits les plus sacrés et les textes les plus anciens, conservés et transmis par les hommes les plus lettrés et les plus savants. Nous ne prétendons pas avoir épuisé le sujet, et il existe bien d'autres auteurs anciens que nous n'avons pas cités dans ce chapitre - tel Ibn Kelbi - ou que nous ne connaissons pas. Mais, jusqu'à preuve du contraire notre recherche nous a donné la certitude que les Arabes lettrés n'ont pas, pour l'essentiel, employé d'autres mots que ceux-ci !

La terminologie du cheval arabe après Niebuhr

Comme nous l'avons vu en parcourant le livre de Jean Tacquet, écuyer belge du début du XVIIe siècle (chap. I), qui confondait tous les orientaux sous le nom générique de « Turcs »... comme nous le confirment d'ailleurs les livres anglais du début du XVIIIe (Racing Calendar et G.S.B.), les Européens n'ont pas connu le cheval arabe en tant que tel avant que l'explorateur Niebuhr n'ait publié son ouvrage à la fin du XVIIIe ! Il rapporta une terminologie spéciale, originaire de l'Arabie du Nord (Euphrate-Tigre) à partir de laquelle s'est développé le vocabulaire moderne sur « l'arabe ». Car, à partir du début du XIXe siècle de nombreux Occidentaux partiront à la recherche de ce merveilleux animal, qui dans l'Arabie péninsulaire, qui dans les déserts de Syrie, qui dans le Croissant fertile. Chacun prétendra avoir vu, ou rapporté, les meilleurs chevaux nobles, avec sa propre terminologie. Tous n'étaient pas des philologues distingués, et tous n'ont pas vérifié leurs sources de renseignements. Mais tous se sont adressés à des éleveurs ou maquignons qui employaient un vocabulaire de « beldawis », c'est-à-dire de « bédouins », c'est-à-dire, au sens propre, de paysans ! Ce vocabulaire n'était pas celui des lettrés, mais était le produit du folklore. De sorte que, sur un fond de croyances populaires se rattachant plus ou moins aux traditions religieuses, et les mélangeant souvent, apparaîtra un vocabulaire purement dialectal et régional. L'erreur des Européens en cette affaire a été de vouloir lui donner un sens général et définitif. Ce qui était bien mal connaître la mentalité orientale. Une autre erreur a été de le transcrire de différentes manières en caractères latins. Ce qui fait qu'au terme de l'opération le folklore de la vieille Europe s'est ajouté au folklore du Machrek... amusant, n'est-ce pas ? Une autre erreur a été de vouloir à tout prix chercher un sens et une origine historique à tous ces termes nouveaux. Niebuhr avait senti la difficulté, nous l'avons vu, et pour essayer d'y voir clair il convient de commencer nos recherches par cet auteur. Il écrit ceci au chapitre XXV : « Des productions et de l'histoire naturelle de l'Arabie », à l'article V, « Des animaux de l'Arabie ».

« ... On sait que les Arabes font grand cas de leurs chevaux ; on pourrait dire qu'ils les divisent en deux espèces. Ils nomment l'une Kadischi, c'est-à-dire, chevaux de race inconnue, lesquels ne sont pas plus estimés en Arabie que les chevaux ordinaires ne le sont en Europe ; ils servent à porter les fardeaux et à tous les autres ouvrages. La seconde espèce s'appelle Kochlani, ou Kéheile c'est-à-dire chevaux dont on a écrit la généalogie depuis deux mille ans. On veut qu'originairement ils soient venus du haras de Salomon ; aussi sont-ils très chers. On les vante comme fort propres à soutenir les plus grandes fatigues... »

« Les Kochlani sont principalement élevés par les Bédouins entre Basra, Merdin et la Syrie (38), où les grands seigneurs ne veulent point monter d'autres chevaux.»

« Cette race se divise encore en plusieurs familles. On trouve près de Mosul les familles : Dsjulfa, Manaki, Dehalemie, Seklawi, Saade, Hamdani et Fredsje. Celles d'autour de Haleb sont : Dsjulfa, Manaki, Toreisi, Seklawi. A Hama : Challoui. A Orfa : Daadsjani. A Damask : Nedsjedi. »

« Je n'ai pas entendu parler de ces Kochlani sur la côte occidentale de l'Arabie [où Niebuhr a passé plus d'une année au début de sa mission]... quelques-unes de ces familles sont préférées aux autres... Il est vrai que les Arabes manquent de tables généalogiques pour prouver, de quelques centaines d'années, la descendance de leurs Kochlani : cependant ils peuvent être assez sûrs de leur race... on ne fait jamais couvrir une jument Kochlani par un étalon Kadisch, et quand cela arrive par hasard le poulain est réputé Kadisch. Cependant, les Arabes ne se font aucun scrupule d'accoupler un de ces étalons nobles avec une jument de race commune ; mais le poulain de cette jument est toujours Kadisch... Je présume (!) qu'il y a aussi des Kochlani en Djof, province du Yémen ; mais je doute qu'on les prise beaucoup dans les domaines de l'Imam (prince régnant au Yémen) parce que les chevaux appartenant aux personnes de qualité de ce pays me parurent trop beaux et trop grands pour des Kochlani... »

Ce texte de Niebuhr est très dense, et contient tous les sujets sur lesquels les amateurs du cheval arabe vont se diviser. D'abord on remarquera qu'il a cru comprendre que les Arabes divisaient l'espèce chevaline en deux sous-espèces : l'arabe et l'étrangère. En cela il rejoint la meilleure tradition, comme nous le savons. Ensuite on notera qu'au lieu d'appeler la première Arab, ou Faras, ou Safinat ou Atiq selon l'héritage des lettrés, il l'appelle Köheile, mot nouveau et régional dont il donne une transcription en graphie arabe. Cette transcription lui a été faite par son informateur (voir plus haut l'extrait de sa préface), dont il n'est pas sûr de l'orthographe.

De la même façon, au lieu d'appeler la seconde race Berdaun, ou Beradin, il la dénomme Kadisch. Ce terme a donc la même signification que Berdaun. Il doit être d'origine syrienne car, si on ne le trouve dans aucun livre en arabe classique traitant du cheval, on le rencontre dès le XIVe siècle sous la plume du géographe arabe universellement connu sous le nom d'Aboulfeda. C'était un prince syrien, de son vrai nom Ismaël Ibn Ali Abu Alfida, de la famille régnante de la principauté de Hamat sur l'Oronte en Syrie. Il mourut en 1331. Vassal du sultan d'Égypte El Malek Naser Ibn Kalaun, nous pouvons lire dans le tome I de sa géographie traduite par Reinaud (1848), qu'en 1324 à la cour de ce roi, au Caire, le Khan Tartare de Perse (dynastie des Houlagides) envoya des émissaires. « ... les ambassadeurs offrirent leur présent ; je fus témoin de la cérémonie. Le présent consistait en trois chevaux Akdysch, portant des selles d'or d'Égypte... » Comment interpréter ce témoignage ? Ce ne pouvait être que de beaux chevaux. Naser Ibn Kalaun était un personnage trop considérable et sa réputation d'amateur de beaux chevaux qui est passée à la postérité, était trop connue! Le Khan Tartare ne pouvait pas lui offrir des chevaux de bât!!! Naser était d'autre part fort connaisseur en chevaux arabes purs qu'il faisait venir à grands frais (voir plus haut), et Aboulfeda, prince syrien le savait. Donc, au total, il semble bien que sous sa plume le mot Akdych signifie: des chevaux non arabes. Mot assez ancien de l'arabe parlé du Croissant fertile.

Les différents sens du mot: Kadischi

1. Chevaux non arabes selon Aboulfeda : XIVe siècle.
2. Chevaux de race Kadich ou Akdich ou race mélangée, demi-sang selon Perron, traducteur du Naseri (XIVe siècle).
3. Chevaux de race inconnue selon Niebuhr (XVIIIe).

On le retrouve dans les écrits de Gayot, orthographié Kuedechs et signifiant commun. On le retrouve aussi en 1937 sous la plume du directeur des remontes des troupes spéciales du Levant, le capitaine Rigon. Kedischi signifiant déchets. Quelle évolution du sens de ce mot depuis les beaux chevaux Akdysch offerts au roi Naser Ibn Kalaun !... On s'aperçoit donc, à travers l'étude de ce terme, qu'à partir de l'époque moderne le vocabulaire proche-oriental concernant les chevaux deviendra de plus en plus imprécis. Car il se situe au niveau du langage parlé, dans des pays où la politesse, voire la diplomatie, veulent que l'on abonde dans le sens de l'hôte ou de l'acheteur. Revenant au texte de Niebuhr, on remarquera qu'il a recueilli en second lieu, les noms des différentes familles de chevaux Kochlani, telles que nous les connaissons de nos jours, plus quelques autres que les amateurs ont laissé dans l'oubli. Celles qui nous intéressent sont :

Hamdani qui veut dire : qui est du pays de Hamdan. Il y a une localité de ce nom en Syrie, et une autre au Yémen. Hamadan est le nom d'une ville de Perse !
Nedsjedi : qui est du Nedjd, région du nord de l'Arabie péninsulaire.
Seklawi : descendant de Saklaweh (l'éclatant).
Manaki : descendant de Minak ou « à la belle encolure », selon le docteur Perron dans le tome I de son ouvrage Le Naseri (1852).

Enfin, nous trouvons dans le texte de Niebuhr, texte fondamental, ses doutes sur la réalité de tables généalogiques, même orales, remontant à quelques siècles. Ses successeurs n'ont pas apporté de faits nouveaux contredisant son opinion. Cela répond d'avance à la question posée par les Hudjet, que les marchands orientaux délivreront aux acheteurs européens au XIXe et au XXe siècle, et que ceux-ci considéreront comme des certificats d'origine, alors que ce ne sont que des témoignages de notoriété.

Pour terminer ce sous-chapitre sur la terminologie après Niebuhr, signalons des termes nouveaux employés par les auteurs de ce siècle qu'ils ont rapportés : les Français de Syrie, les Anglais du Nedjd et d'Égypte.

Assel, Asil, Assiles : qui a une origine (arabe classique).
Chebu : de famille noble (dialecte syrien).
Nejib : du verbe enjaba qui signifie donner de bons produits par accouplement.
Mazbut : bon (dialecte égyptien).
Marufin : connus.

Ce sont des mots d'arabe moderne, ou de dialectes régionaux.

Nous arrêterons là cette liste du vocabulaire sur le cheval arabe. Bien sûr il existe d'autres mots, et on pourra en trouver encore dans les années à venir au niveau des divers langages locaux (Ne dit-on pas le Pompadour pour le dérivé d'arabe né dans le Limousin ? Ne devrait-on pas dire le Nebraski pour l'arabe né dans le Nebraska aux U.S.A. ?). Il nous faut maintenant revenir sur le terme Kohlani importé par Niebuhr.

Le Köheile de Niebuhr

Niebuhr qui de son propre aveu n'était ni philologue versé en arabe, ni naturaliste versé dans la connaissance des équidés, ne se doutait pas de l'obscurité qu'il jetait sur les origines du cheval arabe en rapportant ce nom nouveau pour le désigner.

En effet, nous venons de le voir, le cheval arabe n'a jamais été désigné de cette façon par les Ulamas (les gens du savoir), même ceux qui se sont donné pour but de le décrire. Et pour cause, puisque la tradition religieuse lui a donné le plus noble des noms, Arab. Les poètes antéislamiques, du temps de la Jahiliya (l'obscurantisme, le paganisme), que l'on peut lire en particulier dans les sept poèmes dorés (les Moallakat) ne l'ont pas appelé de la sorte. En revanche, les Européens ont dépensé beaucoup de temps, et des trésors d'imagination, pour chercher un sens, voire une étymologie, à ce mot.

En France, le savant docteur Perron, traducteur du Naseri, écrit en 1852 au mot Kaïlan (Tome I, liminaire...) : Kahlân, nom de cheval. Ce nom est devenu le terme déterminatif ou qualificatif d'une famille de race pure : il est donc alors synonyme de pur sang... Le sens primitif du mot est : brun de galène ou sulfure d'antimoine.

D'autres formes : Kecklani, Kahlani, Kekhilân, Kochlany, Kocklani ;

Kahlân Adjouz : Kahlân vieux ou Kahlân de la vieille ;
Kahlân Djedid : Kahlân récent ou moderne ;
Kohail : diminutif de Kahlàn ;
Koheil Adjouz : Koheil ancien ;
Kahlân Hamdani : Kohelan de Hamdan ou du pays de Hamdan ;
Kahlân Yemani : Kôheil du Yémen ;
Köheile Meneghi : Köheil Minaki ou Köheil à la belle encolure.
Köheile Seglavi, Köheil Saklawi : Köheil Saklawien ou cheval de sang Köheil et de sang Saklawi. Le mot Saklawieh ou saklawah est le nom d'un chef de famille hippique pur-sang. Saklawi est l'adjectif. Perron ajoute: « Il est facile de voir, d'après la série de noms présentés dans la lettre K, combien d'altérations ont subi les deux noms Kahlân et Köheil, et leur féminin Kahlâneh et Köheilah. »

Avant lui, Gayot - le célèbre directeur du haras de Pompadour, inventeur de l'anglo-arabe français - avait écrit dans La France chevaline : « Aujourd'hui, les Arabes appellent Koheil ou Kahlan, tout cheval de noble race, mais ils ne citent les familles qu'en second lieu. » Gayot, homme cultivé, savait que ce nom était nouveau dans la terminologie du cheval arabe. Il accepte le fait, et l'interprète comme Niebuhr qui l'a introduit en Europe. Disons, au passage, que c'est l'attitude la plus positive, car il est vain de rechercher l'origine de ce mot venant du folklore de quelques tribus et qui n'est pas compris du reste de la Nation arabe.

Mais on nous reprocherait certainement d'en rester là, et de ne pas faire état des « histoires » inventées ou avancées pour résoudre cette énigme. Elles font désormais partie du fond commun sur l'Arabe. Voici l'une des plus répandues.

Il était une fois, dans des temps très anciens, un cavalier bédouin qui, chevauchant une jument de race, était poursuivi par des ennemis. Il avait une confortable avance et, sa monture étant pleine, il s'arrêta et elle mit bas d'un poulain noir. Le cavalier le confia à une vieille femme (adjouz) qui avait planté sa tente à proximité. Puis il reprit sa fuite et parvint à semer ses poursuivants. Il avait fait une très longue route, à vive allure, à travers le désert quand il s'arrêta ! Quelle ne fut pas sa surprise de voir arriver, quelques instants après, le poulain noir ! Ce poulain fut appelé le Noiraud de la vieille ! El Koheil el-Adjouz. Il eut beaucoup de produits et une nombreuse descendance, qui fit souche chez les Bédouins nomades, qui l'améliorèrent par sélection, de sorte que de nos jours tous les chevaux arabes sont de sa lignée... Cette délicieuse histoire transmise oralement chez les Bédouins d'Arabie et du Sahara, et recueillie par les Européens, a été reprise par différents auteurs dont aucun ne cite sa source. Mohamed Pacha, fils de l'émir Abd el-Kader, dans un livre édité à Beyrouth et Stamboul en 1907 sur les Safinat ej jiyad, nous rapporte une autre tradition légendaire dont il ne donne pas la source non plus : « La tradition rapporte que les chevaux prirent la fuite lors de l'inondation consécutive à la rupture des digues (de Mareb au Yémen, vers 120 de notre ère), et qu'ils se réfugièrent au désert... Puis cinq des plus nobles juments firent leur apparition dans le pays du Nedjd. Cinq hommes partirent à leur poursuite [...] Grâce à un stratagème, ils parvinrent à les attraper et se les partagèrent. Ils étaient loin de leur campement et, sur la route du retour, les vivres vinrent à manquer. Ils décidèrent d'abattre l'une des juments ; mais de les faire courir ensemble d'abord pour ne sacrifier que la plus mauvaise. Chaque propriétaire perdant ayant demandé une nouvelle épreuve de confirmation avant que de procéder au sacrifice, les juments firent cinq courses, et quatre d'entre elles perdirent tour à tour... On désigna la jument qui avait triomphé dans les cinq courses sous le nom de Es-Saklawiya à cause de l'éclat de son poil, celui qui la montait se nommait Jidran... La jument classée seconde (au classement général) fut appelée Um arqub, parce que ses jarrets étaient tordus ; le nom de son cavalier était Chouweih... La jument classée troisième fut appelée Ech-Chouweima, à cause des grains de beauté qu'elle portait ; son cavalier se nommait Sebbak... La quatrième fut appelée Koheila, à cause d'un point noir que présentaient ses yeux. Son cavalier s'appelait El-Ajouz... La cinquième fut appelée Obeya parce que la aba (manteau) de son cavalier tomba sur sa queue... et y resta suspendue pendant toute la course.

Ces cinq juments furent à l'origine des cinq lignées parvenues jusqu'à nous et Koheila est la plus grande descendance.

Nous avons vu ailleurs ce qu'il faut penser de ce chiffre cinq (Khamsa), qui revient sans cesse. Retenons cette tradition pour ce qui concerne l'énigme de Koheila el-Ajouz, et remarquons qu'elle offre de multiples avantages.

D'abord, elle réussit à accréditer l'ancienneté de la lignée, la rattachant à un événement historique réel, mais devenu mythique dans la tradition des Bédouins, qui n'ont pas l'idée du temps écoulé et peuvent très bien placer cet événement à l'époque de Noé !... Ce sont les historiens occidentaux qui ont réussi à dater cette catastrophe de Mareb, dans la première moitié du IIe siècle de notre ère, rendant un mauvais service à ceux qui colportent la fable du cheval Kohelan, sorti directement de l'arche de Noé... Nous ne plaisantons qu'à moitié.

Ensuite, elle accrédite le sens de Noir comme racine du mot Kohelan, à savoir, Kehl, c'est-à-dire les lettres arabes Kāf, Hā et Lām.

[tableau : L'alphabet arabe]

Enfin, elle donne du même coup une lignée ancienne aux saklawi Jidran, aux chouweiman, aux obayan.

... Que penser de tout cela ?... Sur le plan historique, ce qu'en a dit le docteur Perron il y a plus d'un siècle « Je ne crains pas un moment d'affirmer que les Koheil et aussi les Kahlan ne remontent pas à un siècle... Je crois que les noms Koheil, Koheili, Kahlan, Kahlani, tous noms identiques, se sont substitués aujourd'hui au mot Arabi. » Sur le plan pratique, il convient de faire comme Gayot, d'accepter le fait brut. A notre époque le cheval arabe est appelé Kohelan en langage international. Nous pensons que les éleveurs français se trouveront bien de cette ligne de conduite et ont intérêt à oublier la fabulation qui entoure ce cheval. De même qu'ils ont intérêt, comme nous l'avons vu dans notre recherche historique, de ne pas trop spéculer sur ses origines, et en particulier sur l'ancienneté de celles-ci. Prenons donc le cheval arabe tel qu'il est ; quand on a éduqué son oeil, on ne s'y trompe plus.

En Grande-Bretagne, le cheval oriental a pris une place considérable dans l'élevage (voir chap. I). En ce pays on trouve une très sérieuse bibliothèque sur le sujet. Nous en retiendrons les travaux de Upton, Gleanings from the Desert of Arabia (1881). Cet ouvrage a été considéré par Lady Blunt, la spécialiste qui fait autorité outre-Manche, comme l'un des meilleurs. Nous retiendrons aussi celui de sa fille Lady Wentworth qui a publié en 1945 un énorme ouvrage, réédité en 1962, The Authentic Arabian Horse...

Upton, comme ses collègues français, a buté sur ce mystérieux terme de Koheile rapporté par Niebuhr. Il dit en avoir constaté l'usage chez les tribus bédouines, et en a recherché l'étymologie. Nous laissons la parole à M. Louis Mercier, le savant traducteur d'Ali ben Abderrahman ben Hodeil el-Andalousi, arabisant éminent : « Il [Upton] essaie de justifier le vocable Koheilan, appliqué à l'ensemble des races distinguées, en le dérivant d'un substantif Kuhl, mot qui aurait été, croit-il, appliqué de toute antiquité aux chevaux arabes parce qu'une de leurs caractéristiques est de présenter à l'examen une peau foncée et comme noircie au Kohl (39). Je laisserai à l'auteur la responsabilité de son ingénieuse étymologie, me bornant à constater que le mot Kuhl ne figure avec ce sens dans aucun texte ni ancien ni moderne, et que je ne l'ai jamais entendu appliqué à la race de chevaux arabes en son entier. » La philologie ne lui donnant pas de véritable réponse, Upton, comme beaucoup d'autres, se satisfit d'une légende populaire... dont nous vous ferons grâce.

Lady Wentworth a consacré sa vie au cheval arabe. Avec une touchante ténacité, elle a tenté de démontrer le bien-fondé de ce qui ne peut être considéré que comme sa conviction. Ne parvenant pas à trouver une étymologie indiscutable, elle a fini par poser un postulat (p. 34 de son ouvrage cité). Elle écrit : « Kehilan is the generic term for thoroughbred Arabian. The word " Thoroughbred " is a direct translation of the Arabic word " Kehilan " meaning "pure bred all through " and was adopted in England by the first importers of Arab stallions. »

Et voilà ! Hélas cette affirmation est absolument contraire à la vérité historique. Il suffit pour s'en convaincre de compulser le Général Stud-Book et le Racing Calendar, ou plus simplement de se souvenir du nom donné par les Anglais au cheval de Darley. Elle est aussi démentie par la philologie... Plus loin elle donne à Ajuz (ou Ajouz) le sens d'ancien, ce qui est acceptable, nous le savons. De sorte qu'elle se croit en droit d'affirmer que Kehilan Ajuz signifie « le cheval de pur sang antique » et même « le cheval sauvage ancien »...

Que peuvent penser de cela les paléontologues ? Il est navrant de voir proclamer une telle contre-vérité. Que dire alors de la tentative qu'elle fait à la page suivante de faire coïncider, par le jeu d'une écriture arabe fautive, le mot Ajuz, ancien, au mot qu'elle écrit Ahwaj, nom du plus célèbre chef de lignée ? Alors que le second comporte un ayn, laryngale qui le différencierait totalement du premier s'il en était besoin. Que dire aussi de la tentative qu'elle fait d'imputer à l'émir Abd el-Kader, dont nous avons dit l'immense culture, la confusion entre Khil, chevaux, qui se prononce avec une jota, et Kohel, qui se prononce avec un Kaf ! ! ! et dont les écritures arabes ne peuvent en aucun cas se confondre. Tout cela pour établir que Khil el-Awaj, les chevaux de la descendance d'Awaj dont parle l'émir algérien, sont les Kohel el-Ajuz !!

Consternant n'est-ce pas ? Nous avons fait lire cette page à un Marocain lettré, son silence, précédant quelques mots contenus, voulait en dire long. Quel dommage qu'un auteur, si sérieux par ailleurs, ait pu en arriver là, pour démontrer quelque chose sans grand intérêt pratique au total ; comme nous l'avons dit ci-dessus à propos des auteurs français.

Pardonnons-lui ! son amour pour le cheval arabe l'a rendue aveugle. Dans le même chapitre Lady Wentworth avance une idée bien plus riche sur laquelle nous terminerons cette étude du vocabulaire.

Nouvelle hypothèse sur l'origine du vocable Kôheile de Niebuhr

« Kahlan, écrit lady Wentworth, est aussi une tribu arabe du Yémen, qui fut le canton dans lequel les premiers chevaux sauvages, actuellement enregistrés par leurs noms, furent capturés. »

Donc le vocable Kehilan trouverait là son origine [Au chapitre VI, l’anecdote sur les enfants de Nizar permet une autre étymologie du mot Köheile]. Cette hypothèse est intéressante, mais elle suppose que l'on admette une erreur de Niebuhr dans la façon dont il a entendu ce mot, ou bien une faute d'orthographe de son informateur si, comme il nous le dit, il lui demanda de le transcrire.

On sait que les tribus arabes du sud de la péninsule descendent, selon la tradition, de Yectan descendant de Sem par Heber et Arphaxad. Ce Yectan de la Bible est le Kahtan des généalogistes arabes. Tout le monde l'admet.

La descendance de Kahtan est la suivante.
1_03_03_08_6_18_07.jpg

Les Kahalanides]

On s'étonnera peut-être que dans la généalogie du chapitre III nous ayons écrit Kahlan, suivant ainsi la transcription de Perceval (Cahlan) ; alors que dans ce tableau nous venons de l'écrire Kahalan. Nous l'avons fait sur le conseil de notre collaborateur le Hadj Driss Borki comme plus conforme aux nuances de la graphie arabe. On sait en effet que l'une des difficultés de la lecture de l'arabe littéral est de mettre les voyelles ; opération délicate source de graves erreurs, en particulier pour les Occidentaux.

On remarquera que la généalogie des tribus nomades yéménites remonte à Kahalan, au VIIe siècle avant notre ère, alors que (voir chap. IV) celle des tribus Ismaélites ne remonte qu'à Adnan, au Ie siècle de notre ère. Or, selon une tradition rapportée par Wacyf Boutros Ghali, le Prophète Mahomet n'autorisa les recherches généalogiques que jusqu'à « Adnan seulement, avec défense de les pousser plus loin ».

Cela nous donne la règle de conduite des généalogistes arabes en ce qui concerne les humains. Ne pas prétendre, ni oser rechercher au-delà du Ier siècle, règle sacro-sainte. Tout ce qui précède fait partie de l'incertain et du mythique, et si le peuple pouvait y faire référence, l'Alem (le Savant) devait se l'interdire. Il en fut de même pour les chevaux, et l'on remarquera dans notre tableau au chapitre II que la généalogie du cheval arabe ne prend de réalité historique qu'avec Awaj, vers le Ier ou le IIe siècle de notre ère.

Ainsi donc, le prétendu « Pedigree le plus ancien du Monde », remontant au déluge, de lady Wentworth, n'est qu'une aimable hypothèse d'école...

Il en est de même pour cette nouvelle étymologie du vocable Kahelan que nous proposons à notre tour dans les lignes qui suivent. Comme nous le constatons (voir le tableau), l'ensemble des tribus descendant de Kahalan par lien agnatique peut se désigner par :

Kahalan, qui exprime l'idée de l'entité humaine, dans l'espace et dans le temps, issue du fils d'Abdchams, ou par :
Kahalani qui veut dire : faisant partie de l'entité historique de Kahalan.
Kahaili voudra dire : faisant partie du lignage de Kahalan. On retrouve dans ce dernier vocable, aux voyelles près, le Köheile de Niebuhr qui se dit d'après lui « des chevaux dont on a écrit la généalogie depuis deux mille ans. » (Et que l'on peut donc écrire Kahaili.) Niebuhr a écrit vers 1760. Tout cela concorderait assez bien, n'est-ce pas ? si l'on veut bien se souvenir de l'assimilation à leur propre généalogie qu'ont fait les Arabes de celle de leur compagnon, le plus noble des animaux.

Hypothèse séduisante en vérité ! mais pour être admissible elle doit être assortie d'une supposition : la confusion par Niebuhr ou son informateur du ح hā de Kahaili avec le ۵ hā de Kahāili.

Cette supposition est gratuite, bien qu'elle soit possible (40) ; aussi admettrons-nous sagement que les mots kohelan et koheli qui ont fait fortune chez les Occidentaux à notre époque désignent de facto : Le cheval arabe moderne, pour lequel il est inutile d'ajouter « de pur sang », ce serait un pléonasme.

Tableau récapitulatif de quelques termes employés pour désigner les chevaux orientaux

Dans le Coran

Al-Khir : le bien, les chevaux
Safinat: chevaux parfaits
Ej jiyad : chevaux qui sont généreux et très rapides (singulier : jawad)

Dans la langue classique

Al-Khil : les chevaux
Al-Arab : le cheval arabe
Al-Faras : le cheval de haute race
Hedjin : mélangé, non arabe, métis en général, métis de père arabe
Mukhrif : métis de mère arabe
Berdaun ou Berzaun : cheval privé de sang arabe, cheval commun
Beradin : tous les chevaux autres que le cheval arabe
Kauden (Kawaden) : sans race
Akdych : tous les chevaux autres que le cheval arabe
Atiq, Atq, Atik, Attechi : pur sauvé de l'imperfection, sans défaut, sans mélange
Horr : libre [de toute imperfection], noble
Hearq : qui a une origine
Hariq mensub : celui qui a une origine à laquelle on peut remonter
Nasab : lignée
Hariq en nasab : lignée qui remonte à l'origine
Kharidji : qui est jawad (bon) mais dont on ne peut établir la lignée (il en est sorti) du verbe Kharedj.
Nazie: de mère inconnue

Après Niebuhr. Dans les livres en langues européennes

Kadichi : de race inconnue, demi-sang
Kuedech : commun
Kedishi : déchets
Koheile, Kochlani : chevaux dont on a écrit la généalogie depuis 2000 ans
Kailan, Kahlan : pur-sang
Kahlan : de noble lignée
Kahlan adjouz : pur-sang ancien, Kahlan de la vieille
Kahlan djedid : pur-sang nouveau
Kehilan : thoroughbred
Kehilan Ajuz : the old thoroughbred
Kahaili : du lignage de kahalan
Assel, Aseel, Asiles : noble, qui a une origine [arabe] authentique
Chebou : de famille noble
Nejib : donnant de bons produits
Mazbut : bon
Marufin : connu
Asan : cheval de race (ou belhomme) en algérien du Sud (moderne)

Au terme de ce chapitre essentiel, après la lecture de ce tableau, nous ne pouvons pas ne pas réfléchir au sens du mot race, en français.

Dans les textes anciens que nous avons traduits, avec M. Driss Borki, en faisant un effort particulier pour rendre en langue française le sens le plus proche de celui voulu par la racine arabe, nous n'avons pas rencontré l'idée de race, mais celles : de lignée et d'origine. Par contre dans les nombreuses traductions, faites par des arabisants français, que nous avons consultées et citées, ce mot de race revient souvent. C'est à notre avis une licence du langage.

En effet la génétique moderne conteste l'objectivité de cette notion, comme l'a fait remarquer l'ethnologue Claude Lévi-Strauss (Race et Histoire, 1972). On se rend bien compte d'ailleurs de l'abus fait en notre langue dans l'emploi de ce terme en élevage lorsque l'on veut le traduire en anglais. Car les mots : breed, stock, strain signifient bien plus : lignée, famille ou souche, courant de sang, que race ! En fait, dans notre langue, la race n'est pas autre chose que la famille, considérée dans la suite des générations et la continuité de ses caractères. Déjà en 1907 Paul Fournier l'avait clairement dit dans son ouvrage sur Le Demi-Sang.

Nous arrêterons là nos commentaires sur ce mot. Le lecteur comprendra que nous ne sommes pas sur notre terrain. L'affaire concerne les zootechniciens. Il faut en retenir que dans la conception des Arabes, la noblesse provient de l'origine à laquelle on doit pouvoir remonter par une lignée. Hariq mensub, hariq en nasab. Nous verrons que cette noblesse n'est réellement admise que si elle s'exprime dans l'épreuve et se manifeste dans le modèle.​
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
Le florilège du cheval arabe


Je dis à mon coursier,
alors que les lances frappaient les lances
- Fais attention ! éveille-toi ! ne t'endors pas !
Et mon généreux coursier me répondit :
- Ne t'inquiète pas de moi, je suis de race ;
sois seulement mon cavalier.
Anonyme.

Et le Prophète n'a cessé de répéter :
« Celui qui possède un cheval arabe et l'honore,
Dieu l'honorera.
Celui qui possède un cheval arabe et le méprise,
Dieu le méprisera. »
Émir ABD EL-KADER
« Les Chevaux du Sahara »


La centième sourate du Coran. Le Livre sacré de l'Islam

« J'en jure par les coursiers haletants,
Par les coursiers qui font jaillir des étincelles sous leurs pieds,
Par ceux qui attaquent les ennemis au matin,
Qui font voler la poussière de leurs pas,
Qui se frayent un chemin à travers les colonnes ennemies,
En vérité l'homme est ingrat envers son Seigneur... »
Traduction de WACYF BOUTROS GHALI

Citations de vers de célèbres cavaliers connus de toute l'Arabie aux temps du paganisme

D'après Wacyf Boutros Ghali

« Avance Mihay, c'est un jour d'épouvante. Un homme comme moi sur un [cheval] comme toi, [attaque et défend. » MALEK BEN EL-NASRI

« Quand j'attaque, ma jument se précipite dans le camp ennemi, comme si elle allait y chercher son fils ou le mien. » ZAID BEN SIMANE et sa jument Wagza

« A nous deux, à quoi ne pouvons-nous pas prétendre ? » AL-AKNASS BEN CHAHAB à sa jument Zyamou

« Al-yassir et moi, pour les grandes choses nous nous complétons. » ABOLI NADIR et son cheval Yassir

« Dans la mélée, au péril de ma vie je le protège, de même que dans la nuit il veille sur moi et me protège. » AL MONZIR et son cheval Al-Arime

« Mon coursier jamais ne s'élance sans que derrière lui de l'éclat de ses sabots jaillisse l'éclair. …… Il s'immole pour moi, et pour lui également je me sacrifie au jour du combat. » ANTARA

« Au péril de ma vie j'éloigne de lui la mort et lui me préserve des lances.
Si je succombe, voici l'héritage que je laisserai : Un généreux témoin de mes généreux exploits. » UN HOMME DE KORAYCH

« Je lui dis : Dirham, si tu atteins les fuyards, tu me seras plus cher et je te tiendrai en plus haute estime que mon fils Bodjar. » KADACHBEN ZOHEIR

La Moallakah d'Ibn Kultum

« Aux jours des combats, nous montons des chevaux au poil fin et ras, des chevaux dont la noble origine nous est connue, nés et sevrés chez nous, par nous enlevés à l'ennemi qui nous les avait enlevés. Ces nobles coursiers sont l'héritage, que nous ont laissé nos pères aux vertus généreuses, et, à notre mort, ces coursiers seront l'héritage que nous laisserons à nos enfants. » Traduit par PERRON dans LE NASERI

La Moallakah d'Imrul-Kais

«… A l'aube du jour quand l'oiseau est encore dans son nid je pars sur un coursier au poil ras, au pied leste et léger, à l'élan plus vite que l'élan des bêtes sauvages, coursier robuste et puissant. Coursier parfait à la charge, à la retraite, à la poursuite, à la fuite ; c'est un quartier de roc que d'une hauteur lance le torrent. Alezan brillant, la selle lui glisse incertaine sur son dos poli, comme glisse la pluie sur la face polie de la pierre. Maigre, ardent, il semble lorsque le feu le transporte, qu'il bouillonne comme la chaudière sur un brasier. Il vole encore, il vole léger, alors que les plus rapides coursiers las et brisés après leur course fournie, font jaillir une poussière épaisse du sol ferme et dur qu'ils battent de leurs pieds alourdis. … Il a le flanc sec et fin de la gazelle, la jambe osseuse et haute de l'autruche, le trot dégagé et facile du loup, le galop juste et battant le pied sur la trace de la main comme le jeune renard à la course. De fortes côtes lui charpentent une large poitrine, vue par-derrière sa queue luxuriante et touffue remplit l'intervalle des jambes, presque jusqu'à terre, tombant droite et parfaite. Pendant l'élan de la course, son dos durci semble être une de ces pierres polies sur laquelle la fiancée broie ses parfums, ou sur laquelle on brise la coloquinte. … L'oeil peut à peine embrasser d'un seul coup toutes les beautés de mon coursier ; à peine le regard a-t-il admiré la tête que l'on se hâte, d'enthousiasme, à lui admirer les jambes. »
Traduit par PERRON dans LE NASERI

La Moallakah d'Antara

« .., moi, je passe mes nuits sur le dos de mon coursier toujours bridé. Mon lit, c'est la selle de mon cheval, aux jambes pleines et solides, aux flancs fournis, à la poitrine superbe et puissante. » D'après PERRON

« Ils appellent Antara tandis que les lances, semblables à des cordes à puits, se plongeaient dans le poitrail d'Adham. Son poitrail saignait et de nouveau les cavaliers ennemis fonçaient sur nous. Et de nouveau je leur fis face avec le poitrail de mon cheval qui fut couvert comme d'une housse de sang. Atteint de mille coups, il a tourné vers moi un oeil humide de larmes et a poussé un faible hennissement. S'il eût pu s'exprimer, il se serait plaint ; aurait-il su parler, qu'il m'aurait confié sa peine. »
Traduction de WACYF BOUTROS GHALI

Poésies d'Imrul-Kais

Sur sa jument Mutagarib : « Elle est gaie et alerte et son galop de course ressemble, au pétillement de branchages enflammés. »

Sur le cheval Barbe, [Imrul-Kais s'adresse au César empereur de Constantinople] : « Et je t'en réponds, si je viens à être rétabli Roi, nous ferons une course où tu verras le cavalier se pencher sur la selle pour augmenter la vitesse du cheval ; une course à travers un espace foulé de tous côtés, où l'on voit d'autres éminences pour diriger les voyageurs, que la bosse d'un vieux chameau nabathéen chargé d'années et poussant de plaintifs mugissements. Nous serons, te dis-je, portés sur un cheval habitué aux courses nocturnes, un cheval de race berbère ; Aux flancs sveltes comme un loup de Gada ; un cheval qui presse sa course rapide, et dont on voit les flancs ruisseler de sueur. Lorsque, lâchant la bride, on l'excite encore en le frappant avec les rênes de chaque côté, il précipite sa course rapide, portant sa tête sur ses flancs et rongeant son mors. Et lorsque je dis : reposons-nous, le cavalier s'arrête, comme par enchantement, et se met à chanter, restant en selle, sur ce cheval vigoureux, dont les muscles des cuisses sont allongés et les tendons secs et bien séparés. »

D'après l'émir ABD EL-KADER (Les chevaux du Sahara, général Daumas)

Quelques vers d'Ismail ibn Ali
[géographe, poète, humaniste syrien du XIVe siècle - connu sous le nom d'Aboulféda]

« Ô le beau coursier! avec lui je pourrais me dérober à l'influence du destin, soit pour atteindre le bien, soit pour éviter le mal. Il est comme le soleil, il ne s'est pas plutôt montré à l'Orient, que l'éclat qui rejaillit de son corps se répand jusqu'à l'Occident. »

Quelques vers de l'émir Abd el-Kader
[Les Chevaux du Sahara. Au chapitre DES RACES]

« La queue ressemble au voile de la fiancée.
Semblable à une belle coquette qui louche à travers son voile,
Son regard tourné vers le coin de l'oeil perce à travers la crinière,
Qui, comme un voile, lui couvre le front.
Chacune de ses narines ressemble à l'antre du lion,
Le vent en sort quand il est haletant. »

[Au chapitre CHOIX DES CHEVAUX]

« Il a les flancs de la gazelle,
Les jambes de l'autruche femelle,
Le dos droit de l'âne sauvage en vedette sur un mamelon.
Sa croupe, ressemblant à un tas de sable que l'humidité a rendu compact, Correspond à un garrot s'élevant au-dessus du dos,
Comme le bât du chameau qui retient la litière. »

[Extrait de L'ÉLOGE DU DÉSERT]

« Et nos chevaux, est-il une gloire pareille ?
Toujours sellés pour le combat ;
A qui réclame notre secours,
Ils sont la promesse de la Victoire.
Nos ennemis n'ont point d'asile contre nos coups car nos coursiers,
Célébrés par le Prophète, fondent sur eux comme le Vautour.
Nos coursiers sont abreuvés du lait le plus pur ;
C'est du lait de chamelle, plus précieux que celui de la vache. »

Nous arrêterons là ce modeste florilège car nous ne nous cachons pas que ces poèmes ne peuvent transmettre totalement leur message, traduits en français dont le Verbe et le rythme sont si différents du Verbe et du rythme de la langue du Coran ! Tel qu'il est cependant, il témoigne, auprès de ceux qui ont un peu de cœur, de cet amour extraordinaire de l'homme pour le cheval qui est apparu et s'est exprimé une seule fois en ce monde, dans la société bédouine.

Devenus cavaliers, ayant écrit l'une des plus belles pages de l'histoire des peuples cavaliers qui dominèrent le monde connu, du Ve au XIVe siècle, les Arabes possédant une des plus belles langues véhiculaires, n'ont pas célébré le cheval seulement en poèmes.

Ils l'ont décrit avec une précision extraordinaire, et leurs savants du Moyen Age, ont su définir le cheval noble avec une perfection, et une rigueur, que n'ont pas atteint nos hippiatres modernes.

Nous allons étudier les écrits de ces maîtres dans le prochain chapitre.​
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
Le cheval noble décrit par les Maîtres arabes

Les grands Cavaliers et Chevaliers des temps antéislamiques ont,
dans leurs vers, dépeint et vanté les chevaux de noble race,
en ont dit les caractères et les qualités.
EL NASERI


Poursuivant notre recherche pour tenter de saisir le cheval arabe dans sa réalité, en le débarrassant de la mythologie et de la fabulation qui l'entourent, après avoir interrogé l'histoire et la philologie, nous allons envisager la question sous l'angle de l'hippologie.

Notre méthode sera simple et consistera à réunir les descriptions qu'au cours des siècles les Arabes ont faites du cheval de haut lignage, pour essayer de comprendre quelle idée ils en ont eu.

Au Ve siècle

D'après Imrul-Kais. Poète, cavalier, le roi errant des temps antéislamiques

Il a comparé le cheval noble :
A l'autruche pour la solidité de ses membres ;
Au serpent pour la souplesse de son dos et ses allures rasantes ;
Au chacal, comme lui il est craintif et toujours aux aguets, possédant un don pour pressentir toutes choses dans son environnement.
(Transmis par IBN KELBI)

Au VIIe siècle

D'après Sassaah ben Souhan. Cité par Wacyf Boutros Ghali dans son livre La Tradition chevaleresque des Arabes (1919), au chapitre « Le culte du cheval et des armes ».

« Le calife Moawiah (661-680) demanda un jour à Sassaah ben Souhan : " Quels sont les meilleurs chevaux ? " Sassaah répondit: " Ceux qui ont trois choses longues, trois choses courtes, trois choses larges, et trois choses pures. - Explique-toi ", ordonna le Calife. Et Sassaah dit : "Les trois choses longues sont : les oreilles, l'encolure et les membres antérieurs. Les trois choses courtes : l'os de la queue, les membres postérieurs et le dos. Les trois choses larges : le front, le poitrail et la croupe. Les trois choses pures : la peau, les yeux et le sabot. " »

Nous sommes en présence d'une tradition très ancienne comme on le voit, remontant aux premières conquêtes des Arabes. Nous la retrouverons inchangée sous la plume de l'émir Abd el-Kader, plus d'un millénaire plus tard. En revanche, nous noterons des variantes dans la tradition orale maghrébine recueillie au XIXe siècle par le général Daumas. En particulier pour ce qui concerne les oreilles qui seront alors décrites petites ; ce qui est en contradiction flagrante avec ce qu'ont affirmé tous les hippiatres arabes savants et connaisseurs tels que l'auteur du Naseri, et son contemporain l'Andalusi. Hélas, c'est cette tradition erronée qui a été retenue par les Européens.

Pour notre part nous avons recueilli de la bouche d'un remarquable homme de cheval de la région de Tébessa (Algérie) en 1957, la tradition véritable. « Souviens-toi, me dit-il, qu'un cheval arabe a les oreilles longues, très droites et toujours en mouvement. » On peut se convaincre de cette caractéristique propre au véritable cheval arabe en regardant les tableaux de Carle Vernet, un des premiers peintres à avoir représenté ce noble animal en France.

Aux VIIe et VIIIe siècles

D'après Abu Obeïda

Célèbre philologue et hippologue mort en 209 de l'hégire. Il vécut à la fin du VIIe et au début du VIIIe siècle, à la cour du calife Harun Al Raschid à Bagdad. Il se retira ensuite à Bassora. Selon l'émir Abd el-Kader, Abu Obeïda aurait écrit une cinquantaine d'ouvrages sur le cheval, dont Kitab al-Khil qui nous est parvenu et que nous allons étudier. Ce livre a été imprimé et édité à notre époque par Dahirat el-Maarif el-Athmania à Heïderabad-Dekkan (1358 de l'hégire).

Aux pages 51 et suivantes de cette édition, on trouve plusieurs descriptions que nous allons transcrire en français, selon une traduction faite en collaboration avec notre jeune camarade marocain Driss Borki.

On voudra bien noter que, pour tenter de réaliser la version la plus proche des textes arabes, écrits il y a quelque douze siècles, nous avons délibérément accepté une certaine lourdeur du français. Mais à ce prix nous avons le sentiment d'avoir conservé l'esprit et la lettre de ces écrits qui, on va le voir, sont d'une importance considérable. Notons aussi qu'ils sont pratiquement inconnus en notre pays.

De quelques signes par lesquels on prouve la qualité du cheval, sa naissance et son harmonie [morphologique], la noblesse s'exprimant par des signes extérieurs.

« La largeur de la fente de la bouche,
l'abondance de la salive,
la dilatation des naseaux,
la profondeur du champ visuel,
l'expression hardie du regard,
l'acuité de la vue.

« La fermeté et la longueur des oreilles,
la largeur inter-oculaire,
l'éloignement des yeux par rapport aux tempes,
l'écartement des maxillaires au sommet,
la longueur entre le toupet et le sommet du garrot,
le garrot saillant sous la peau, d'aplomb, placé en arrière, à proximité du rein.
L'éloignement du garrot des pointes des épaules, l'écartement des pointes des épaules l'une par rapport à l'autre,
la longueur du coude au genou,
la proximité du genou et du boulet,
la proximité des genoux (l'un par rapport à l'autre), la proximité du boulet et de la couronne,
l'éloignement de la pointe de l'épaule, du grasset.

« L'éloignement des pointes des hanches l'une de l'autre,
la proéminence du rein,
la largeur des fesses,
la puissance des muscles des cuisses, à condition que la peau soit adhérente,
la jambe (tibia) courte et convexe,
la puissance de la musculature supérieure de la jambe, elle doit être ferme et ramassée,
la corde du jarret décharnée,
la netteté du jarret,
la pointe du jarret à l'aplomb et à proximité des fesses, son éloignement du sol.

« L'inclinaison des paturons dans leur totalité, ainsi que leur solidité,
l'articulation du genou sèche,
les sabots importants et puissants. »

De quelques signes par lesquels on prouve la pureté (ATQ) de race du cheval vu selon son extérieur.

Abu Obeïda est très bref : « La finesse des lèvres et du bout du nez, de la couronne et de ce qui apparaît de sa peau sous sa robe. »

Description de l'ATQ (le Pur)

« On se réfère pour prouver la pureté du cheval : à la finesse des lèvres et du bout du nez, à la dilatation des naseaux ; [à ce que] les os qui sont proéminents dans la face au-dessous des yeux [sont] décharnés, de même pour les larmiers ; à la finesse des paupières et de la partie supérieure des oreilles ; à la finesse de l'encolure dans sa partie immédiatement voisine du sommet, la peau en étant fine et adhérente ; à la douceur des poils de la couronne et de ceux qui couvrent les genoux, et, plus déterminant que tout ceci, à la douceur de la crinière et du duvet du toupet ; on doit retrouver l'ensemble de tout ce qui a été décrit, une partie conditionnant l'autre. »

« Si de ce que j'ai décrit on ne trouve pas tout dans le cheval, cependant que certains [de ces caractères] s'y trouvent réellement, il rejoint les Jiyad (il est à mettre au rang des jiyad) s'il est Atq. »

« Ceci étant, si son naturel se caractérise par l'intensité de son souffle, la largeur du nez, des naseaux et du thorax, par l'encolure longue et bien attachée au garrot, l'abdomen important, les cuisses puissantes, l'artère fémorale enveloppée, la solidité, la puissance, l'importance des articulations des genoux, et par l'importance et la solidité des sabots, il rejoint les nobles chevaux utilisés en course (jiyad). »

Nous avons divisé ce texte en trois parties pour bien faire saisir au lecteur le développement des idées d'Abu Obeïda.

D'abord reprenant ce qu'il a déjà décrit dans les chapitres précédents, il résume les caractères extérieurs par lesquels la pureté du cheval s'exprime.

S'ils existent tous, la crédibilité de la pureté doit être totale.

Mais, tout homme de cheval sait bien qu'il est exceptionnel de trouver toutes les beautés réunies dans le même sujet. C'est pourquoi Abu Obeïda introduit une nuance importante : si par la notoriété publique ou toute autre preuve (Hudjet [confiance en l'éleveur], stud-book à notre époque) on a la certitude que le cheval est sans mélange dans son lignage, alors, s'il présente réellement quelques-unes des beautés décrites, et en particulier la plus déterminante, alors nous pouvons le classer parmi les meilleurs : les Jiyad.

Il apparaît ici clairement que dans la conception arabe des grands siècles où a été faite la sélection du cheval de course : l'origine, condition nécessaire, n'est jamais suffisante pour accorder de l'estime à un sujet.

Il doit toujours exprimer sa noblesse par son extérieur, au moins dans une certaine mesure. Enfin, il doit présenter en outre des points de force définis, pour être classé cheval de course.

De ce que les Arabes aiment chez le cheval

« Les Arabes aiment que le cheval ait une crinière très noire, souple ; [ils aiment] la douceur du chakir (c'est-à-dire les poils très fins autour du toupet)... (Abu Obeïda poursuit la description puis conclut) ... Tout ceci pour la beauté, sauf la crinière et la douceur du chakir qui font partie des signes auxquels on se réfère pour prouver la pureté (Atq), c'est ce qui prouve de façon déterminante cette pureté. La souplesse du chakir est sentie par celui qui palpe comme du duvet ; s'il y trouve de la disgrâce [terme littéral employé par l'auteur] il a la certitude de l'impureté, celle des races autres que l'Arab. »

Autrement dit les Arabes sont intransigeants sur ce caractère, preuve de la pureté.

Aux pages 65 et suivantes, on peut lire ces lignes qui nous éclairent sur la conception que les Arabes se sont faite du cheval de race.

« On aime parmi les chevaux ceux qui sont purs (Atiq), qui ont une origine (hariq), qui sont forts (jassim), de parents connus (maaruf el Aba wa l'umahat : connus de pères et de mères) par lesquels on remonte à leur origine (mensub) exempts de l'impureté (hedjina) qui les rattacherait aux lignages autres que ceux des chevaux des Arabes. »

On notera au passage tous ces termes que nous avons rassemblés dans le tableau du vocabulaire au chapitre VI.

C'est dans les oeuvres des poètes antéislamiques que les savants arabes ont recherché les origines de leurs chevaux. Voilà ce que nous apprend Abu Obeïda, nous indiquant ainsi la méthode des généalogistes de son époque. Il nous cite les poètes les plus connus et les plus crédibles.

- Al Qama ibn Abdu Akhu bani Rabia banu Malik bnu Zaid ;
- Zaid ben Amru l'Hanafi ; - Abu Daoud l'Ayadi ;
- Nabigha (l'un des plus célèbres).

A partir de ces sources il a lui-même établi une liste des chevaux chefs de la race arabe.

As Jadi [de la tribu] des Beni Azd
Lahiq
L'Wajih
Ghorab [appartenant à] une riche propriétaire, ils étaient maarufa mensuba
Mudhab [appartenant à] un riche propriétaire
Awaj [ayant appartenu] au roi des Kinda
aux Beni Suleym
aux Beni Hillal
Dhu l'Oqal [ayant appartenu] aux Beni Riyah
aux Beni Irbua
Fayad
Sabal
Sarih [ayant appartenu] aux Beni Jaada
Halab
Dif [ayant appartenu] aux Beni Taghlib

Il écrit: « Tout poète parmi ces poètes arabes a parlé du hariq mensub (celui qui a une origine à laquelle on peut remonter) des chevaux et il fait remonter son cheval [celui dont il parle] à ce qui est connu [des chevaux], ceux-ci [les poètes] croyant que le meilleur cheval est l'hariq de pères et mères connus, exempt de Hadjina (l'impureté, même racine que hedjin). Si le cheval est inconnu (mejhul) s'il participe aux courses sans origines connues [hearq] et sans lignage [nasab], il est dit sorti (Kharidji, celui qui est sorti de son lignage) s'il est bon (Jawad, celui qui est bon voir Chap. VI). »

Ces textes, inconnus en France, apportent une lumière nouvelle dans la connaissance du cheval arabe. Nous les considérons comme fondamentaux. Ils répondent à toutes les questions qui se posent à propos du cheval pur. Du même coup, à leur lecture, toutes les fables de la littérature européenne s'effondrent.

Car ce sont les plus anciens documents connus sur la question, écrits par le plus célèbre des hippiatres arabes, à l'époque qui fut l'apogée de la civilisation arabo-musulmane ! On doit leur accorder un crédit total car son autorité est incontestée et l'on remarquera dans les textes qui vont suivre que son enseignement a été conservé intégralement par ses successeurs, qui ajouteront des précisions, voire des compléments, mais qui jamais ne dévieront des idées qu'il a exprimées le premier.

Quelles sont ces idées ?

1. Qu'un cheval est arab ou qu'il est hedjin (impur). Cette façon de considérer l'espèce chevaline apparaît constamment dans son texte. Nous le retrouverons chez la plupart des hippiatres arabes.

2. Que la qualité d'arab se démontre par la pureté qui se traduit par des signes extérieurs précis et constants :

- par une constitution physique respirant la force ;
- par une origine connue par les ascendants mâles et femelles, par lesquels on doit pouvoir y remonter.

3. Que les noms des étalons chefs de lignées de la race arabe, nous ont été transmis par les poètes. Il cite douze de ces étalons qui ont vécu entre le début de notre ère et l'hégire. Ceci est important. Ce témoignage nous ramène sur le plan de la pratique, en faisant appel à des notions parfaitement vraisemblables, permettant de reléguer au rang de la culture fabuleuse les origines héritées de la tradition religieuse, ou des légendes folkloriques. En cela Abu Obeïda se place dans une perspective réellement objective et pour tout dire, en forçant à peine les mots, scientifique. Dès lors si l'on fait l'effort de comprendre la mentalité tribale bédouine, on saisit la réalité de l' « hariq mensub » et nous sommes ainsi convaincus de la généalogie sans faille du cheval pur (l'Atiq), bien plus que par des pedigrees écrits, auxquels les Européens ont accordé beaucoup trop de crédit.

4. En homme de cheval averti, Abu Obeïda donne une place déterminante aux caractères différentiels que l'on décèle dans l'extérieur du cheval. L'importance extraordinaire - pour nous Européens habitués à nous accommoder des défauts de nos montures - qu'il donne à « la souplesse du chakir » est convaincante à cet égard. Le plus beau pedigree ne vaudra rien si le sujet ne possède ce caractère...

5. Enfin, et cela est spécifique de la mentalité arabo-musulmane qui est convaincue plus que tout autre de la relativité des jugements humains, le cheval ne prendra rang parmi les grands que si, à l'épreuve, il se révèle Jawad. Bien plus, celui qui serait Jawad mais n'aurait pas d'origines connues, sera déclaré Kharidji. C'est dire qu'on lui accorde un préjugé favorable : il est sorti de sa lignée (sous-entendu arabe) et, soyez-en assurés, placé bien au-dessus des Impurs (Hedjin).

6. Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer que dans une telle conception, des chevaux étrangers à l'élevage arabe, mais dont les origines peuvent être considérées comme en étant issues (l'Anglais par exemple) peuvent fort bien, à la limite, être admis dans la famille du cheval de race pure. Si l'on a une certaine idée de ce qu'ont pu être certains bouleversements historiques, cela ouvre la possibilité à bien des hypothèses, ou explique bien des faits.

Au XIVe siècle

D'après Abu Bakr Ibn Bedr, extrait du Naseri ou la perfection des deux arts.

[Tome II, première exposition. Chapitre XI, « Du cheval de course »]

« ... Le cheval de hautes courses a les caractères suivants : nez effilé, à tel point que l'animal boirait dans un kouz ou grand verre en fer blanc. Naseaux évasés, front large, oreilles allongées, joues presque décharnées, sèches. Œil saillant. Trois choses noires : le tour extérieur de l'oeil, les lèvres et les sabots ; genoux lisses et polis. Ventre et flancs dégagés et forts. Tendon bien détaché - proéminence accentuée des deux saillies charnues préthoraciques. Coude assez court, trachée souple et fine. Thorax ample et développé, racine caudale courte, queue longue, encolure longue, dos court, croupe ronde et pleine. »

[Chapitre XIV, « Proportions des diverses parties du corps »]

« On recherche et aime dans le cheval : la beauté de la face, la finesse des lèvres, la longueur de l'ouverture de la bouche en haut... La longueur de la langue, car lorsque la langue est longue, la salive est plus abondante et cette circonstance est un soulagement dans les courses et les fatigues. La finesse du bout du nez... La largeur des naseaux. La ligne droite du chanfrein, c'est-à-dire que le nez ne soit ni camus, ni busqué, ni moutonné. Le soulevé ou saillie de l'espace interoculaire. La sécheresse ou manque de chair aux deux os zygomatiques... L'uni et l'étendu des deux joues. La grandeur des yeux, leur noir foncé, leur vivacité du regard. L'étroitesse des deux creux sus-orbitaires ou salières. L'étendue de la distance qui sépare les oreilles. La longueur suffisante des oreilles. La largeur du front. La longueur de l'encolure, la petitesse de la gorge, la sortie bien montée du garrot, la proéminence et l'étendue de bas en haut du sternum, et des deux saillies pectorales ou reliefs charnus préthoraciques, la brièveté des bras... car alors les avant-bras sont plus allongés et dégagés. Le développement de la pointe du coude... La brièveté du canon de chaque main...

« On recherche et veut aussi : la richesse de chair sur les deux flancs, derrière les coudes et les épaules, car alors il y a vigueur et force ; le peu de longueur du dos, la largeur des vertèbres et leur position uniforme et égale, la longueur des côtes... La proéminence des hanches et leur distance, l'épaisseur de la racine de la queue, car c'est là que finissent les lombes et que se trouve leur extrémité la plus éloignée, il importe donc que ce point soit fort et vigoureux. La largeur et la longueur des cuisses, c'est-à-dire depuis les hanches jusqu'aux jambes. La brièveté et la largeur des jambes lorsqu'on les regarde de face... La position ou station droite des pieds... La saillie du jarret très détachée et bien dirigée.

« Voilà ce que nous avons désiré signaler relativement à ce qui constitue la conformation des chevaux de bonne race. »

[Tome II, troisième exposition. Chapitre IV, « Sur le cheval de sang »]

« Nous avons à tracer les qualités distinctives du cheval de pur sang. C'est le premier et le plus noble de tous les animaux, le plus puissant de force, le plus riche de résistance et de fond, le moins exigeant pour le manger et le boire dans les longs trajets des déserts, dans les expéditions, dans les voyages... Nous voyons le cheval de noble race porter son cavalier avec bagages, armes, armures, provisions, rations et encore avoir la résistance d'un drapeau tenu par la main du cavalier au milieu d'un grand vent... Ce cheval ainsi chargé va un jour tout entier, sans se fatiguer, sans souffrir, de la faim ni de la soif...

« Ce cheval de pur sang, ce cheval fort, c'est celui qui a la respiration puissante, l'intérieur du corps et les narines larges et spacieux, l'encolure longue, le montoir, c'est-à-dire l'emplacement vers le garrot, robuste, les cuisses pleines, les hanches vigoureuses, les articulations nettes et dégagées, les sabots solides... La longueur de l'encolure sert dans la course, c'est un appui, un moyen d'équilibre. La grosseur des cuisses est la condition de soutien et de solidité. Le dégagé, la pureté des articulations des membres favorise la fermeté du maintien des tendons sur elles et une garantie contre les gonflements et les déviations. La force des sabots donne une base résistante aux colonnes des membres qui rencontrent et battent le sol et la roche.

« On a dit qu'un témoignage positif de la qualité de pur sang et de fond, est la souplesse des crins petits, ou chakirah, qui accompagnent dans toute la longueur la base de la crinière... »

[Tome II, quatrième exposition, Chapitre IV]

« ...Mais lorsque les oreilles sont dressées vers l'espace interoculaire d'ailleurs développé, que le tégument de la conque est fin, que les oreilles sont allongées, que la base, jusque vers le milieu de leur longueur, est mince, que vers le haut elles sont bien ouvertes, que leur extrémité est effilée et parfaitement dressée, que leur consistance est ferme, que les tempes sont douces et souples, que le poil des conques est fin et soyeux, que le cartilage est bien courbé, le cheval est de race - noble...

« Voyez aussi la face du cheval - qu'il n'ait pas le chanfrein concave, c'est-à-dire déprimé, même au degré moindre que la tête camuse.

« C'est aussi une difformité que le nez bombé, ou le nez enfoncé par le haut, ou la face grasse et empâtée, ou le chanfrein busqué ou nez de tortue, ou le camard prononcé ou nez de rhinocéros. En difformité il y a encore le chanfrein bombé au point de donner une face de chèvre. Si l'os du nez est épais et large, le cheval est berzaun, bon à servir de bête de somme. Mais si les naseaux sont larges d'en bas, rétrécis d'en haut, et que le bout extrême du nez soit fin et effilé, le cheval est de race. Toutes les fois que le nez est bien fendu et ouvert par le haut, de manière que la respiration marche vigoureuse, le cheval est un grand coureur. »

[Chapitre VI]

« Si le devant de l'encolure est grand et haut, et si l'encolure est légèrement arquée jusqu'à la tête, le cheval est de haute race... »

Nous ne voudrions pas être accusé de forcer les textes, mais enfin n'est-il pas clair que l'on reconnaît un cheval de sang à :

- la ligne droite du chanfrein ;
- le nez fin - bien dessiné - naseaux larges d'en bas, rétrécis d'en haut ;
- l'encolure en arc - la gorge mince ;
- les oreilles dressées (longues), bien enroulées en bas, ouvertes en haut (se terminant en pointes effilées), aux poils fins et soyeux, en mouvement ;
- et enfin et par-dessus tout, la souplesse, la finesse, et la douceur du chakir ?

Au XIVe siècle

D'après Ali ben Abderrahman ben Hodeil el-Andalusi. Extrait de La parure des Cavaliers et l'insigne des Preux, traduit par L. Mercier.

[Chapitre V, Sur les qualités à rechercher dans les différentes parties du corps]

« La beauté de toutes les parties du corps du cheval est toujours accompagnée de l'excellence et décèle la race et l'énergie... Les formes les plus estimées des différentes parties du corps se définissent ainsi :

Longueur de la tête, ce qui consiste en une grande distance, entre son toupet et sa lèvre. Bouche bien fendue, la commissure se présentant au niveau de la fin de la barbe.

Minceur des lèvres, qui doivent être lisses. Longueur de la langue... Finesse du bout du nez, c'est une beauté et un signe de race. Naseaux larges, à bords minces, haut fendus... Faible écartement des ganaches, vers leur point de réunion inférieur ; c'est une beauté. Finesse et délicatesse du passage de la muserolle sur le chanfrein : c'est une beauté. Soudure dans le même plan du chanfrein et de l'os frontal... ; c'est une beauté. Finesse des bords du nez, dont les surfaces doivent être lisses.

Ces qualités sont recherchées pour la beauté et décèlent en outre la race.

Finesse des larmiers, qui ne doivent point s'étaler sur la face ; par finesse nous entendons qu'ils ne doivent pas être charnus et que la peau doit y adhérer; c'est une beauté, en même temps qu'un signe de race. Les cornets du nez ne doivent pas être velus.

... Longueur des joues qui doivent être lisses et larges ; ... Largeur de l'auge... Largeur et éclat des yeux, qui doivent être très noirs... Bonne portée et acuité du regard... Grande distance relative des yeux aux oreilles... Largeur du front, qui doit être peu velu et à peau adhérente.

Longueur des oreilles qui doivent être gracieusement roulées à leur base et vives dans leurs mouvements ; c'est une beauté ; elles doivent, en outre, être fines, douces au toucher, effilées aux extrémités, ce qui constitue un signe de race...

Le toupet doit être peu fourni, long, très noir, doux au toucher. Longueur de l'encolure depuis le toupet jusqu'à la touffe du garrot, c'est une beauté... Abu Obeïda émet l'avis que la longueur de l'encolure est plus nécessaire au cheval qu'à la jument...

Ibn Quoteïba (41)... rapporte ceci : Suleiman, fils de Rabia [Rabia al-Faras - Rabia au cheval - fils de Nizar ancêtre des Anaza (voir chap. IV), la généalogie des Ismaélites], distinguait les chevaux de race des chevaux communs à l'encolure. A cet effet, il faisait apporter une écuelle pleine d'eau que l'on posait sur le sol, puis on faisait avancer les chevaux un par un jusqu'à cette écuelle ; tous ceux d'entre eux qui étaient obligés de replier l'un de leurs antérieurs pour boire étaient rangés dans les chevaux communs, et tous ceux qui buvaient sans ployer un antérieur étaient classés par lui dans les chevaux de race.

Finesse de la gorge près de la tête, c'est une beauté.

Minceur de l'encolure à sa partie supérieure au point de l'attache de la nuque... c'est à la fois une beauté et un signe de race. Les ligaments sus-épineux cervicaux doivent être haut placés et solidement soudés à l'épaule. Cette disposition assure plus de solidité à la liaison de l'encolure et de l'épaule... Largeur de l'encolure à la base et mobilité de la peau à sa partie inférieure... L'encolure dans son ensemble doit être élevée, ce qui est une beauté et un indice d'énergie.

Les épaules doivent être attachées haut sur le garrot, de façon que leur partie supérieure soit, pour ainsi dire, enfoncée dans le garrot. La pointe de l'épaule, à son articulation avec le bras, doit être peu charnue et saillante... Les deux muscles ilio-spinaux doivent être saillants et charnus... d'après Abu Obeïda. Brièveté du dos. Rectitude de la colonne vertébrale, largeur des vertèbres... Largeur du thorax..., les côtes doivent s'incliner dès leur partie supérieure en s'élargissant et être longues... Solidité de la région rénale. Il est préférable également que cette région soit large, charnue, dans le même plan que le dos. Les pointes des hanches doivent être haut placées, en saillie, éloignées l'une de l'autre. Largeur des os iliaques, qui doivent être bien garnis de chair, longs et à peau adhérente. Abu Obeïda est d'avis que les hanches doivent avoir un peu de pente, ce qui est meilleur pour la course ; il ajoute que la forme carrée est plus agréable à l'œil et que la largeur des os iliaques vaut mieux que leur longueur.

Force et épaisseur du sacrum, sans que sa position soit trop élevée, ni surbaissée, ce sont les conditions de la vigueur. Abu Obeïda est d'avis que la meilleure condition est une moyenne entre l'enfoncement et l'émergence du sacrum.

La région du poitrail doit s'harmoniser avec celle des épaules. Brièveté des bras, afin que les épaules soient en saillie et les coudes rentrés... Abaissement du sternum qui permet plus de longueur aux côtes... Longueur et épaisseur des avant-bras... Brièveté et largeur des canons antérieurs... tendons larges et bien détachés... Finesse et netteté du boulet... petitesse de l'ergot... l'os du paturon doit être large... Le sabot doit être gros... la pince aiguë, le bourrelet distant du sol à sa partie postérieure... Les muscles du plat de la cuisse doivent être charnus. Les muscles ilio-abdominaux doivent être charnus, car cela achève de renforcer la cuisse, or c'est des muscles de cette région que dépend l'impulsion. La région du grasset doit être solidement emboîtée et à peau adhérente sur la tête de chacun des deux os...

On déteste le grasset qui dévie et ressort (vers l'extérieur) parce que cette conformation entraîne la faiblesse...

Brièveté et largeur des deux tibias, qui doivent aussi présenter le tejbib, c'est-à-dire la forme convexe... Proéminence de la pointe des jarrets, dont le calcanéum doit se trouver dans le prolongement du tendon d'Achille... Longueur et largeur des canons postérieurs, vus de profil, finesse et minceur de ces mêmes os vus de face ; quant aux paturons et aux sabots postérieurs, ils doivent présenter les mêmes qualités qui sont recherchées dans les antérieurs, si ce n'est que le redressement des paturons postérieurs est pardonnable, ce qui n'est pas le cas pour les antérieurs. »

Ibn Hodeil reprend encore la description du cheval de race dans son chapitre VII : « Sur ce qu'il faut rechercher chez les chevaux, caractéristiques des plus nobles d'entre eux... » et au chapitre IX : « De l'épreuve des chevaux, de leur choix... » Nous ne pouvons qu'inviter le lecteur à consulter son ouvrage (voir bibliographie).

La lecture de la longue citation du chapitre V nous montre la pérennité des canons du cheval de haute race établis par les maîtres arabes à l'époque d'Abu Obeïda. Ainsi, durant six siècles, les hippologues de la civilisation arabo-musulmane n'ont pas dévié dans leur conception du cheval Noble.

C'est certainement la raison majeure de la conservation par une sélection permanente du cheval arabe depuis sa création par les Bédouins nomades de l'Arabie antéislamique. De sorte qu'il est apparu aux Européens, fort peu conservateurs, comme une race à part dans l'espèce chevaline, et même différente pour certains d'entre eux !

Ce pouvoir de conservation de l'arabe, dans sa pureté originelle, est à mettre au crédit de la civilisation de l'Islam, que l'on accuse trop souvent d'immobilisme. En vérité, il s'agit de fidélité à la beauté et à l'impulsion, qui ont atteint la perfection en ce cheval.

Que les Occidentaux apprennent donc ce qu'ils doivent à la civilisation musulmane qui, en plus d'Aristote et de l'Algèbre, leur a légué le cheval Noble par excellence.

Au XIXe siècle

D'après l'émir Abd el-Kader. Extraits de l'ouvrage Les Chevaux du Sahara, général E. DAUMAS.

[Chapitre « Des Races » (sic)]

« Suivant nous, s'il est impossible de faire d'une race où le sang est mêlé une race pure, il est, au contraire, reconnu que l'on peut toujours faire remonter à la noblesse primitive une race pure qui aurait été appauvrie, soit par la privation de nourriture, soit par des travaux excessifs et non appropriés à la nature du cheval, soit par le manque de soins, dont, en un mot, la dégénérescence n'a pas pour cause un mélange de sang.

Quand il n'y a pas de notoriété publique, c'est par l'épreuve, par la vitesse unie au fond, que les Arabes jugent des chevaux, qu'ils en reconnaissent la noblesse, la pureté de sang ; mais les formes révèlent aussi leurs qualités. »

Ce passage est capital. L'émir résume ici les principes fondamentaux qui ont permis aux éleveurs bédouins de créer par sélection le cheval de race, au cours des siècles. Il fait clairement apparaître que le principe le plus important est celui de la connaissance des lignées. Il dit sans ambiguïté que cette connaissance est fondée sur la notoriété publique. Et non pas sur des certificats (Hudjet ou Hujjet) qui n'ont été inventés que tardivement pour satisfaire les acheteurs européens et ne présentent qu'une garantie sans grande valeur. Ceci est d'ailleurs confirmé par la plupart des explorateurs occidentaux des XVIIIe et XIXe siècles, tant au Machrek qu'au Maghreb.

Quant au second principe, qui revêt une importance particulière au cas où la crédibilité des éleveurs est sujette à caution, beaucoup parmi les amateurs de « l'Arabe », l'ont oublié ou tout simplement l'ignorent, ce qui est très grave! Et cela se double d'une autre erreur, commise par les quelques-uns qui ont eu conscience de la nécessaire vérification des caractères de race par l'épreuve. Ils n'ont le plus souvent employé que la course de vitesse, oubliant la course de fond. Cela aussi est très grave ! Car, pour conserver le cheval arabe dans sa pureté, la sélection par l'épreuve de fond est de la plus haute importance. De nos jours une évolution semble se dessiner en ce sens, dans quelques pays. Ça n'est pas le cas de la France, hélas ! Un étalon de la race noble ne devrait-il pas, pour être approuvé, avoir apporté la preuve de son lignage (être hariq mensub), de la pureté de ses beautés (être Safineh) et par-dessus tout celle de sa qualité en courses de vitesse et de fond (être jawad) ?... C'est de cette seule façon que l'« Arabe » retrouvera en notre élevage national le crédit que nous lui avons fait perdre par notre ignorance.

Enfin, dans le texte suivant, l'émir Abd et-Kader cite le troisième principe de sélection : les canons anatomiques, principe que nous venons de rappeler.

[Chapitre « Coutumes de guerre »]

L'émir écrit: « C'est un cheval qui, sans jamais se fatiguer, finit toujours par faire demander grâce à son cavalier. Sa tête est sèche, ses oreilles et ses lèvres sont fines, ses narines bien ouvertes, son encolure légère, sa peau noire et douce, ses poils lisses et ses articulations larges. Par la tête du Prophète ! il est de noble race, et vous ne demanderiez jamais combien il a coûté si vous l'aviez vu marcher à l'ennemi! »

L'émir Abd et-Kader a écrit bien d'autres choses intéressantes sur le cheval de race, et le lecteur se doit de connaître le livre du général Daumas qui eut, au XIXe siècle, un grand retentissement en France. Qu'il nous soit permis ici, de nous élever contre le discrédit dont certains auteurs étrangers ont tenté d'entourer son témoignage. On doit au contraire le considérer comme l'un des meilleurs témoins modernes de la conception arabe de l'élevage des chevaux nobles et ce pour une triple raison.

- Chef religieux d'une grande culture il nous a transmis intégralement l'héritage des hommes de cheval de la grande époque de l'Islam, des VIIe, VIIIe et IXe siècles. (L'époque des califes de Damas et de Bagdad.)

- Chef de guerre qui tint les Français en échec de 1832 à 1847, il avait une parfaite connaissance de l'élevage et de l'emploi du cheval de race ayant la guerre sainte comme finalité.

- Homme d'une grande noblesse, qui fit l'admiration de ses adversaires par sa droiture, son honnêteté, sa grandeur d'âme et sa dignité dans l'adversité, il est pour nous un témoin d'une moralité exemplaire. C'est d'une grande importance quand on fait des recherches en pays d'Islam. Et ceux qui nous ont rapporté, du Machrek essentiellement, la fabulation, désormais internationale, sur le cheval arabe (fabulation qui nous embarrasse de nos jours) ont souvent péché en ne vérifiant pas l'honorabilité de leurs informateurs.

C'est avec le témoignage de l'émir Abd et-Kader que nous terminerons cette recherche du cheval arabe dans la nation et la civilisation arabo-musulmanes. Si le lecteur nous a suivi jusque-là, il a présent à l'esprit les étapes de notre marche méthodique, qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler !

Nous faisant Arabe parmi les Arabes, afin de pénétrer leur manière de sentir, nous avons d'abord étudié la filiation des chevaux selon leurs auteurs les plus respectés. Puis, pour préciser, pour éclairer certains points obscurs, nous avons interrogé l'histoire de cette grande Nation. Ensuite, ayant acquis la certitude que le cheval de race, n'aurait pas existé sans la civilisation arabe, nous avons interrogé la langue arabe elle-même, venue précisément à maturité au moment même où le cheval de race prenait une place privilégiée chez ce peuple. La langue arabe qui est un témoin irréfutable en sa perfection. Enfin, après avoir ressenti l'amour du Cavalier descendant d'Ismaël pour son compagnon, si bien exprimé par les poètes antéislamiques et particulièrement dans la Moallakah d'Imrul-Kais, c'est aux zootechniciens avant la lettre que furent Abu Obeïda, Abu Bekr et Ibn Hodeïl que nous avons demandé de répondre à la question fondamentale, et au total la seule question importante :

Qu'est-ce qu'un cheval de noble race ?
Qu'est-ce que le cheval arabe ?

Nous allons tenter d'exprimer les réponses qu'ils ont faites à ces deux questions en notre dernier chapitre.​
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
La conception arabe du cheval de sang


... Un cheval est véritablement noble,
quand, en sus d'une belle conformation,
il réunit le courage et la fierté
et qu'il resplendit d'orgueil
au milieu de la poudre et des hasards.
ÉMIR ABD EL-KADER


Les textes originaux que nous avons rassemblés dans cet ouvrage nous permettent de comprendre la conception que les Arabes ont eue des Nobles coursiers, littéralement les Safinat ej jiyad dont parle leur livre sacré.

Si par éthique nationale ils exigent de lui des quartiers de noblesse (n'est-ce pas eux qui ont transmis cette notion à l'aristocratie européenne ?) ; s'ils font des origines le critère nécessaire, ils n'en font pas le fondement unique et suffisant de leur jugement. Nous l'avons vu, dans le monde hippique arabe, les généalogistes ont succédé, dans le temps, aux cavaliers guerriers, et aux hippiatres. D'ailleurs le vocabulaire sacré qu'ils ont d'abord employé pour désigner leurs chevaux les plus nobles montre, s'il en était besoin, que les Arabes ont recherché en premier lieu la qualité s'exprimant dans les faits. Que signifie la locution « Safinat ej Jiyad » ? sinon : « Les chevaux parfaits [morphologiquement] ayant prouvé leur rapidité et leur courage dans la course » [l'épreuve de vitesse et de fond] ! Nous sommes loin de la conception des Européens qui tend à réduire le cheval arabe au rang de phénomène zootechnique aux origines mystérieuses, à l'aire de reproduction limitée !

La conception arabe fondée sur des critères tangibles, enracinée dans la certitude vécue de la primauté de leur Nation (42) et de leur foi religieuse est autrement large.

Elle s'est exprimée à l'apogée de la civilisation arabo-musulmane de façon globale et sans appel : l'espèce chevaline se divise en deux catégories : celle du cheval arabe, le cheval noble par définition, et tout le reste...

El-Arab-El-Faras, est le cheval qui a reçu toutes les qualités en partage : noblesse, bonté, beauté, générosité, courage (impulsion) !

Le Berdaun, le Kauden, le Kadichi ? c'est tout le reste de la gent équine ! Ce sont les chevaux non-arabes qui n'ont pas eu la chance de réunir ces composantes de la perfection.

Ce sont des Hedjin, des impurs. Ce qui ne veut pas dire qu'ils seront exclus de la société, mais qu'ils y seront admis comme inférieurs.

Cette conception, qu'il serait facile de transposer sur le plan de la société humaine, est spécifiquement arabe.

Elle prend ses racines dans la certitude métaphysique de l'homme du désert qui a choisi de vivre libre en ce monde, loin des biens matériels qui aliènent le reste des hommes.

Cette façon large d'envisager la question de l'espèce chevaline a permis dans le passé l'assimilation des bons chevaux originaires d'au-delà le précarré arabe. (Il en fut de même sur le plan humain, la civilisation islamo-arabe a eu un pouvoir d'assimilation extraordinaire.) Dans le présent, elle explique la faveur du pur-sang anglais auprès des descendants d'Adnan et de Kahtan ; car c'est un Jawad ! En effet, nous l'avons vu dans la partie historique, les combattants de la vraie foi n'ont jamais fait de la région d'origine du cheval une qualité déterminante posée a priori. Bien au contraire, ils ont su apprécier tous les chevaux, à la condition qu'ils fussent « Jiyad ». Ceci est la conception générale.

Dans la pratique, le cheval des Arabes doit remplir trois conditions strictes pour prétendre à la noblesse.

C'est d'abord la pureté de l'origine

Mais attention, il ne faut pas nous laisser prendre au piège des mots. Il s'agit essentiellement d'être convaincu de cette pureté, et les beautés morphologiques devront en apporter la confirmation ; bien plus probantes sont-elles en effet que ne pourront l'être tous les documents généalogiques écrits.

Cette conviction de la pureté des origines fut d'abord fondée sur la connaissance des poèmes épiques, comme nous l'a dit Abu Obeïda. Puis elle prit sa source dans la notoriété publique, comme nous l'apprend l'émir Abd el-Kader. Bien sûr cette certitude reposant sur les « dires », n'était concevable que dans le cadre d'une société très originale. La société tribale agnatique qui a atteint sa perfection dans l'ethnie sémito-arabe. Burckhardt l'avait fort bien compris, alors qu'au contraire l'honnête Niebuhr, sociologue d'occasion, n'avait pu la concevoir, d'où ses doutes sur la généalogie du Kohelan.

Ceci est une composante très spécifique de la civilisation arabo-musulmane qui accorde une importance fondamentale aux témoignages des croyants, comme source de certitude.

Partis à la recherche d'un cheval mythique, doté d'un pedigree écrit, extrait de quelques registres généalogiques, les Européens n'ont pas compris cela. Sur ce sujet nous avons des raisons de penser que les fameux hudjet sont une invention récente, ou au moins d'une généralisation récente, pour satisfaire les acheteurs occidentaux. Si la hudjet a été établie dans la tribu où a été acheté l'étalon, par des notables réunis pour témoigner de son hariq mensub, c'est alors un certificat valable, fait par des témoins honorables, et l'on doit lui accorder un crédit total. Ce fut hélas rarement le cas. On sait en effet que les acheteurs européens sont, le plus souvent, passés par l'intermédiaire de marchands. La hudjet n'a plus alors de réelle valeur.

Ce point qui ressortit à la sociologie ne doit pas nous faire douter de la pureté des origines des chevaux arabes. Il fait seulement la part des choses en ce monde imparfait où nous vivons.

Rien ne remplacera jamais la crédibilité de l'éleveur, c'est la conception des Arabes depuis toujours.

La deuxième condition de la Noblesse est la qualité

Il convient, en effet, de vérifier par l'épreuve la réalité de l'héritage des qualités de la race dans le sujet considéré. Ceci est très important et on le retrouve constamment sous la plume des hippologues arabes. Cette conception est étrangère à notre manière de voir, et par là s'expliquent, sans aucun doute, les avatars de nos « races » (?) européennes, qui parfois ne se reconnaissent plus d'une génération à l'autre. Ceci est tellement vrai que Mme E. Couturié, qui fait autorité en matière d'élevage, a pu écrire en août 1972 :

« On trouve dans les stud books des milliers de chevaux sans valeur ; de temps à autre, un chef de race émerge à l'horizon, après avoir fait ses preuves de courage et de vitesse ; c'est ainsi que le cheval de course peut acquérir son seul véritable titre de noblesse, celui de la qualité dans l'épreuve ». On ne peut mieux dire. Observations remarquables qui se situent dans la plus pure tradition des éleveurs arabes.

La troisième condition, enfin, est la perfection de l'extérieur

Il ne faut pas, en effet, accorder les privilèges de la noblesse, au sujet qui ne l'extériorise pas dans sa morphologie. C'est la règle d'or de tous les bons éleveurs. Au total donc : pureté des origines, qualité et beauté, c'est cela le cheval arabe.

Nous avons le sentiment que nous touchons du doigt les causes véritables qui expliquent la sélection sans précédent que les Arabes ont réalisée, offrant ainsi au monde le plus beau et le meilleur des chevaux.

Comme nous sommes loin, n'est-ce pas, des fables irritantes dont on nous rebat les oreilles ? Bien que nous ne sous-estimions pas l'importance des facteurs écologiques spécifiques à certaines régions de l'aire d'élevage des chevaux orientaux, il importe de bien comprendre que le cheval de race est le produit de la civilisation arabo-musulmane.

Cette conception du cheval noble et de race se perpétue dans le monde arabe moderne. Elle explique le fait, que nous avons déjà signalé, que le cheval dit de « pur sang » est très prisé par les éleveurs de culture musulmane parce que, très précisément, il remplit en principe la triple condition enseignée par leurs maîtres. Les traditionalistes ont d'ailleurs trouvé un hadith dans lequel le Prophète de l'Islam envisageait la possibilité de la suprématie d'un cheval autre qu'arabe. C'est dans l'ouvrage intitulé Iqd L'Farid (le collier unique) d'Ahmed Ibn Mohamed Ibn Abdou Rabbih el-Andalusi, mort en 321 de l'hégire (Xe siècle), qu'il est rapporté : « Le Prophète, à lui bénédiction et salut... a dit: " Si l'on réunit les chevaux des Arabes en un lieu, ne l'emporterait sur eux par la vitesse qu'un Alezan. "... Ce fut Eclipse, " alezan vif, avec une liste en tête prolongée et une balzane postérieure droite haut-chaussée » ... le plus célèbre des Anglais !

Quoi qu'il en soit on voit combien a été, à la fois très précise et très large, la conception arabe du cheval de haute race. Chez eux il n'eût pas été possible que « des milliers de chevaux sans valeur » restent comptés au nombre des « Safinat ej jiyad »... « La notoriété publique » les aurait laissés tomber dans l'oubli, ils auraient ainsi disparu. La race aurait été ainsi préservée de la déchéance. C'est très exactement ce qui s'est passé pour Le Cheval ARABE.

Pourquoi nos éleveurs occidentaux ne s'inspirent-ils pas des leçons des Arabes ? La question se pose de savoir si à l'exemple du peuple des Bédouins de la péninsule Arabique et de la Grande Syrie, les habitants de la péninsule européenne sont devenus un peuple de cavaliers et d'éleveurs ? Nous avons des raisons d'en douter, exception faite de ces insulaires originaux qui ont créé le Pur-Sang.

. Pouvait-il en être autrement ?
. Un peuple de paysans sédentaires pouvait-il s'associer un cheval noble, dans le cadre de son mode de vie ?

- Certainement pas !

. Une société de consommation peut-elle sécréter autre chose qu'un animal de... consommation ?

- Certainement pas !

- Aux antipodes d'une telle société aliénée aux biens matériels, le miracle arabe s'explique d'abord et surtout par l'attitude morale et esthétisante de la société arabe bédouine qui fit rêver Ernest Renan.

Aux jours des combats, nous montons des chevaux au poil fin et ras,
Des chevaux dont la noble origine nous est connue,
Nés et sevrés chez nous,
Par nous enlevés à l'ennemi qui nous les avait enlevés.

Ces nobles coursiers sont l'héritage que nous ont laissé nos pères
Aux vertus généreuses,
Et, à notre mort, ces coursiers seront l'héritage
Que nous laisserons à nos enfants.

Moallakat d'Ibn Kultum​
 

♘امیرحسین♞

♘ مدیریت انجمن اسب ایران ♞
Notes de l'auteur


1. Hadith : ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles du Prophète Mahomet.
2. Traduit par Louis Mercier ; voir bibliographie.
3. On remarquera que dès le XVIIe siècle, l'origine du cheval d'Arabie est considérée comme étant la Médie, sur les rives de la mer Caspienne.
4. Mannicka, c'est-à-dire muniki ou encore managhi.
5. Maghreb : Afrique du Nord. Machrek : Proche-Orient.
6. Les noms donnés dans ce tableau par les capitaines Rigon, Simaan et Chapelard et par X sont extraits du rapport établi en Syrie en 1943 par le capitaine Georges Antoine-May, de l'état major de la cavalerie du Levant.
7. Écrit ainsi, en phonétique, ce mot est un nom qui désigne non pas l'homme arabe, mais le cheval de race élevé par les Arabes depuis des temps antéislamiques immémoriaux.
8. Hégire: ère des Mahométans qui commence en 622 de l'ère chrétienne, date à laquelle Mahomet s'enfuit de La Mecque à Médine (Yathrib).
9. On trouve ici le mythe des chevaux sortis de la mer, mythe commun à toutes les civilisations du bassin méditerranéen (Poséidon-Neptune).
10. Ce concept de l'Enclos est important. Tous les généalogistes arabes font remonter les chevaux purs à ceux qui étaient dans l'enclos (sous-entendu d'Ismaël), dès lors que leurs filiations s'arrêtent.
11. Car Ismaël est le premier des Arabes.
12. Dohr : la prière de midi. Açr : la prière de l'après-midi.
13. Croissant Fertile : nom donné aux riches régions qui bordent en arc de cercle les déserts d'Arabie-Syrie, au N.-O, au N. et au N.-E. de la Palestine au golfe Persique. Zone d'attraction et de sédentarisation des nomades de la péninsule. C'est un fait d'une immense importance.
14. Consulter : Les énigmes de la civilisation sumérienne, de J.-C. Margueron. « II s'agit d'une infiltration lente et plus ou moins continue des nomades... en provenance de la péninsule arabique ».
15. Anazé, que l'on écrit aussi Anaza et Anézé.
16. Dechambre : célèbre zootechnicien français du XXe siècle qui a établi la classification des chevaux suivant leur profil.
17. AI Khir : le bien, les chevaux dans les textes sacrés ; devenu Al Khil : les chevaux dans le langage courant.
18. Arabie Pétrée : sud de la Palestine selon Ptolémée.
19. Arabie Heureuse : Arabie méridionale et côtière selon Ptolémée.
20. Notre dossier serait incomplet si nous ne notions ici, que vers les années 50, un cheval de bronze a été trouvé près de Sanaa au Yémen. Il relève de l'art Corinthien et a été daté de 460 av. J.-C. !... Preuve de la perméabilité de l'Arabie Heureuse aux influences du monde antique.
21. Nous laisserons de côté la fable qui voudrait que l'Arabie fut autrefois un riche et plantureux pays. On ne s'expliquerait guère, alors, les émigrations successives des Kouchites, puis des Sémites...
22. Les Sabéens Kouchites passant la mer Rouge se seraient réfugiés en Abyssinie où l'on sait qu'il y eut aussi un royaume de Saba.
23. Ma'rib : ancienne capitale des Sabéens dans la partie sud-ouest de l'Arabie. D'après les généalogistes arabes, elle aurait été fondée par Saba, petit-fils de Yarob. Il aurait construit la digue à une lieue et demie à l'ouest de Ma'rib, sur le Wadi Dhenne dans la trouée qu'il s'ouvre à travers le mont Balak. Cet ouvrage de terre avait 770 m de longueur et 8 m de haut.
24. Médine, la ville où se réfugia le Prophète Mahomet, s'appelait alors Yathrib.
25. Irak : où ils fondèrent le royaume de Hira, au sud de Kufa.
26. Notitia dignitatum utriusque imperii, écrite entre les années 425 et 453 de notre ère sous Théodore le Jeune.
27. Les pages suivantes sont extraites de mon ouvrage : Cours d'histoire de l'équitation, au chapitre " Les Arabes " Rabat 1973.
28. Car la vie dans ces conditions n'aurait pas été possible s'il n'y avait eu des règles strictes qui permettaient de limiter aux cas exceptionnels les effusions de sang.
29. D'après Damiry : Kitab Hayat el-Hayawan. XIIe siècle. Voir aussi le tableau généalogique des Kahtanides.
30. La biographie traditionnelle du Prophète et les annales de Khamici.
31. Khoràssàn (cf. Encyclopédie de l'Islam) : contrée du soleil levant ; de Khur = soleil et àsàn = se levant. Vaste contrée à l'est de l'Iran, comprenant les pays situés au sud de l'Amu-Daria et au nord de l'Hindu Kuch ; ayant aussi englobé politiquement la Transoxiane et le Sidjistan (le pays des Parthes).
32. Traduit parle docteur Perron qui le publia au tome 1 du Naseri.
33. Iran (Perse), pays des aryens qui importèrent du Ferghana le cheval à profil rectiligne et à sang chaud au début de l'ère historique, et l'exportèrent par la suite jusqu'en Mésopotamie. Dans la région de Chiraz, la tribu des Kachgaï élève un cheval de pur type aryen, plus grand que l'Arabe et dont la généalogie est inconnue.
34. Il y a sur le problème de l'écriture arabe, quasi-unanimité des historiens.
35. Il faut signaler à ce propos la thèse du docteur Oberthur dans Prestige du Cheval (1951), qui, sans être affirmative, incline le lecteur à penser que le cheval arabe pourrait bien descendre de l'Hémippe du groupe des Hémiones (du grec hêmonios : demi-âne).
36. Mémoire sur les anomalies de la colonne vertébrale des animaux domestiques. Journal de l'anatomie et de la physiologie, novembre 1867-janvier 1868.
37. La mission d'exploration envoyée par le gouvernement danois était composée de cinq spécialistes des différentes disciplines... Niebuhr fut le seul survivant.
38. C'est exactement dans le Croissant fertile et les régions riveraines du Sud de cette région.
39. Kohol ou Koheul ou Khol signifie : substance noirâtre et parfumée dont les Orientaux frottent leurs sourcils et leurs paupières (Larousse).
40. En effet, Niebuhr a écrit textuellement : « Quoi que je ne sois pas assuré qu'ils soient écrits selon la vraie orthographe. »
41. Abu Mohamed Abdallah ibn Moslim ibn Quoteiba, célèbre lettré, lexicographe, ayant vécu de 828 à 889.
42. Le cadre de notre étude se situe dans la période historique qui vit la splendeur de la civilisation arabe.
 
بالا